Molenbeek : les conséquences d’un système en faillite

Un jeune homme saute d’un building. A chaque étage, il se dit ‘‘Jusqu’ici tout va bien, Jusqu’ici tout va bien’’ et termine par ces mots : ‘‘Mais l’important n’est pas la chute, c’est l’atterrissage’’. L’attitude adoptée ces dernières décennies par les politiciens établis concernant les problèmes sociaux de quartiers tels que Molenbeek rappelle de manière frappante cette scène d’ouverture du film ‘‘La Haine’’ (1995) qui parlait déjà du désespoir, de la haine et des frustrations d’un groupe croissant de jeunes des banlieues. Qu’un groupe de jeunes de Molenbeek participent maintenant à d’odieux attentats terroristes a tout à voir avec cet atterrissage brutal à la suite d’une longue chute.

Par Mathias, enseignant à Bruxelles
Depuis le 13 novembre, Molenbeek est devenue la plaque tournante du djihadisme européen, aux dires de la presse internationale, une ‘‘aire de jeux pour le terrorisme’’ et un ‘‘ghetto de misère’’ au coeur de la capitale d’un État défaillant. Le terrorisme n’est pas génétique et certainement pas non plus un phénomène culturel. C’est le triste résultat d’un système qui pousse des millions de jeunes dans la guerre, la pauvreté, la frustration et la colère. Quand cette colère n’est pas canalisée dans la lutte collective pour une alternative sociale, elle peut devenir un terreau fertile pour les fondamentalistes réactionnaires. Ces derniers ne représentent qu’une petite minorité, 0,3% à peine des jeunes hommes de Molenbeek estiment qu’ils ont un avenir en Syrie.
Cette situation ne provient pas de nulle part. Mais plutôt que de parler d’un Etat défaillant, nous parlons d’un système défaillant. La chaîne flamande VRT a récemment rediffusé un documentaire sur Molenbeek datant de 1987. De jeunes travailleurs y avertissaient de la future croissance de la radicalisation et de la criminalité parmi une couche d’immigrés de la deuxième ou de la troisième génération si aucune solution n’était fournie face au manque de travail, à la pénurie de logements décents, à la qualité de l’enseignement,… Trente ans plus tard, le chômage y est de 30%, de 50% à 60% chez les jeunes. Avec un revenu moyen de 9844 euros par an, Molenbeek est également la deuxième commune la plus pauvre de Belgique. Les revenus y sont inférieurs 40% à la moyenne belge. Le footballeur Vincent Kompany a déclaré après les attaques que cela était prévisible et que le fondamentalisme doit être compris comme une ‘‘colère contre l’échec de notre système d’intégration’’.
Mais c’est à peine si les politiciens capitalistes abordent cette question. Le Ministre de l’Intérieur, Jan Jambon (N-VA) a été assez hypocrite que pour dire qu’il fallait ‘‘Nettoyer Molenbeek’’ mais aussi ‘‘livrer des améliorations dans les domaines de l’enseignement et de l’égalité des chances.’’ C’est pourtant la N-VA qui a organisé une vaste opération d’austérité dans l’enseignement néerlandophone il y a un an ! C’est le gouvernement actuel, avec la N-VA, qui a durci les règles d’exclusion des allocations de chômage dites d’insertion, qui assurent que de nombreux jeunes se retrouvent sans le moindre revenu au lendemain de leurs études !
Les discours et mesures sécuritaires lancés à la mi-novembre ne fourniront aucune réponse aux causes sous-jacentes de l’exclusion sociale et de la radicalisation salafiste. La répression ne fera que renforcer la distance entre la société et un groupe de jeunes aliénés. Assurer la sécurité de la population est important, mais on ne peut pas échapper au sentiment que le gouvernement instrumentalise délibérément la situation et fausse complètement la réalité. Soldats, véhicules blindés, mitrailleuses et écoles fermées visent à retirer la discussion du cadre des relations sociales, à éviter d’aborder les défauts structurels du système capitaliste à tous prix. Cela fut aussi démontré par l’interdiction des manifestations à Paris et en Belgique dans le cadre de la COP21, la Conférence de l’ONU sur le climat.
Pourquoi le gouvernement ne montre pas une détermination similaire dans la lutte contre le chômage des jeunes, le manque de budgets de l’enseignement, les listes d’attente interminables pour un logement social, etc. ? Renforcer la répression et jouer sur l’anxiété de la population ne pourront que temporairement mettre le couvercle sur ces questions. Le gouvernement se trompe s’il pense que les problèmes sociaux seront noyés sous le sécuritaire. Les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord nous ont récemment appris que lorsque la lutte de classe est de retour, aucune interdiction ne peut étouffer la résistance dans l’oeuf.