Il y a quelques jours, nous apprenions la déprogrammation du rappeur Médine du Festival “Les solidarités”, décidée par les organisateurs et encouragée par le bourgmestre de Namur, Maxime Prévot. Cette déprogrammation fait suite à une polémique menée tambour battant par la droite et l’extrême droite française, et reprise en chœur par leurs relais belges, Georges-Louis Bouchez et Nadia Geerts en tête. On y retrouve les habituelles accusations de “complaisance vis-à-vis de l’islamisme”, d’opposition à la laïcité, de sympathie envers Dieudonné et d’homophobie, auxquelles vient désormais s’ajouter l’accusation d’antisémitisme.
Par Odile, Clément C. et Alain
En effet, en réponse à un tweet lui demandant de s’expliquer sur l’utilisation qu’il faisait du terme « rescapé », Médine a répondu en critiquant le parcours politique de la conseillère politique Rachel Khan, proche de Macron, de cette manière: “ResKHANpée: personne ayant été jetée par la place Hip-Hop, dérivant chez les social traîtres et bouffant au sens propre à la table de l’extrême-droite”. Jeu de mot douteux, étant donné les origines juives de Rachel Khan et l’expérience de la déportation de sa famille. Par après, le rappeur s’est excusé et a reconnu avoir fait une erreur. Soyons clairs : être actif dans la lutte contre les oppressions ne permet pas de pouvoir tenir des propos discriminants sans en subir de conséquences. L’antisémitisme doit être combattu partout.
Ce qui est dégoûtant ici, c’est l’hypocrisie des politiciens de droite qui s’insurgent pour un tweet très rapidement suivi d’excuses et qui restent silencieux sur des sujets et des faits bien plus graves.
Médine subit une campagne de diabolisation par la droite et l’extrême droite française pour un tweet dont il s’est excusé à plusieurs reprises. Mais où étaient les politiciens qui versent des larmes de crocodile lorsque Rammstein a joué en concert à Bruxelles, les 3, 4 et 5 août ? Qu’ont-ils dit, ces grands défenseurs de la lutte contre les discriminations, lorsque plusieurs femmes ont accusé le chanteur du groupe Till Lindermann d’agressions sexuelles ?
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Qu’ont-ils dit, ces défenseurs de la lutte contre l’antisémitisme, lorsqu’une librairie liée au NPA (Nouveau parti anticapitaliste) en France a été recouverte de tags antisémites et sexistes par des groupuscules d’extrême droite (GUD et les zouaves Paris) ?
Qu’ont-ils dit, lorsque Nahel M. a été tué par des policiers? Comme bien d’autres dont le meurtre raciste n’a pas été filmés ?
Rien du tout. Car ces politiciens se servent de ce tweet comme d’une excuse pour déverser leur haine islamophobe et raciste en se cachant derrière de grands principes de laïcité et, comble de l’ironie, de lutte contre l’antisémitisme.
Car des actes antisémites venant de leur courant politique, il y en a de manière systématique. Emmanuel Macron lui-même a rendu hommage en 2018 au maréchal Pétain, chef du gouvernement collaborateur de Vichy lors de la seconde guerre mondiale, qui a organisé la déportation de 76.000 juifs, dont seulement 2.500 sont revenus.
La droite ne se met un vernis progressiste que si cela lui permet d’utiliser la division pour opposer des catégories de population les unes contre les autres. Ça lui a permis de critiquer les partis EELV (Europe écologie les verts) et LFI (la France Insoumise) qui avait invité le rappeur à leur université d’été.
EnBelgique, cela a permis à George-Louis Bouchez, président du MR, de critiquer la gauche ; de s’offusquer de la présence de Médine au Festival Les Solidarités, organisé par une mutualité proche du PS et qui comporte un village associatif avec plus de quarante organisations.
Ce même George Louis Bouchez qui a débattu avec le Vlaams Belang à la VRT, dans une tentative d’enterrer définitivement la stratégie du « cordon sanitaire » (imparfaite, mais qui a le mérite d’exister) selon laquelle les partis démocratiques refusent de discuter avec l’extrême droite. Ce même George Louis Bouchez président du MR, parti qui a tenu un stand à la Pride de Bruxelles en y présentant une brochure dénonçant le « totalitarisme woke ». Un personnage comme celui-là serait notre allié dans la lutte contre l’antisémitisme et les discriminations ?
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Comme la grande majorité des artistes engagés, Médine n’est certes pas exempt de contradictions. Ce qui en revanche fait sa force, c’est sa capacité à se remettre en question et à évoluer. Ce n’est pas un hasard si la plupart des éléments polémiques qui lui sont reprochés sont assez datés. Ainsi, l’insulte homophobe qui lui est reprochée, si elle ne doit pas être effacée ou excusée, date de 2007. Bien avant ses prises de positions publiques ultérieures en faveur des personnes LGBTQIA+, et notablement en faveur du mariage pour tous. Voici comment il définissait sa position à l’époque: « Evidemment le mariage gay n’est pas compatible avec l’islam mais en tant que citoyen français je suis pour l’égalité donc ils devraient avoir le droit de se marier sans discrimination. » Une vision bien plus proche de l’idée laïque de « l’Église chez elle, l’État chez lui » que celle défendue par les « laïcs » qui utilisent la laïcité pour attiser l’islamophobie et le racisme – ceux-là même qui sont visés par le titre « Don’t Laik ». De la même manière, le soutien éphémère qu’il a apporté en 2014 à Dieudonné, lorsque la nature de ses objectifs politiques étaient encore floue pour de nombreuses personnes, a rapidement été suivi d’une désolidarisation de la part de l’artiste.
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Les attaques de la droite et de l’extrême droite contre des artistes rap engagés ont déjà une longue tradition derrière elles (rappelons-nous parmi de nombreux exemples, les procès faits à Sniper par Nicolas Sarkozy ou à Youssoupha par Eric Zemmour). C’est dans ce cadre qu’il faut situer la « polémique » qui vise Médine. Ce qui les dérange, c’est son combat, dans sa musique et dans ses apparitions publiques, contre les discriminations.
Médine écrit des morceaux engagés qui critiquent la colonisation française, le racisme et l’islamophobie. Il s’est également impliqué dans plusieurs initiatives en soutien au mouvement social dans les raffineries, en solidarité avec les dockers du Havre ou contre la réforme des retraites. Il figure aussi parmi les soutiens officiels au mariage pour tous, contrairement à nombre de ses détracteurs qui aujourd’hui se plaignent d’une insulte homophobe mais qui, hier, s’opposaient publiquement au mariage homosexuel. Médine, c’est une figure qui les hérisse, car c’est une figure de gauche combative. A nouveau, ces actes-là n’effacent pas le jeu de mot douteux, ni la quenelle ni l’insulte homophobe. Mais soyons lucides : ce n’est pas pour cela que la droite l’attaque aujourd’hui.
Mais qu’a fait la gauche face à cette offensive de la droite ? En France, ELLV et LFI ont maintenu la présence de Médine à leur université d’été et lui ont publiquement accordé leur soutien. Le journal L’Humanité, proche du PCF, en a fait sa « une » et sa présence est maintenue à la fête de l’Huma (malgré le fait que le président du PCF, Fabien Roussel, a publié un tweet annonçant son soutien à Rachel Khan). Le président du PS français a récemment insisté sur RMC que la polémique sur Médine n’est rien comparée aux vrais sujets de la rentrée : les inégalités en matière de pouvoir d’achat.
Ce soutien de la part de la gauche est relativement assumé, plus que les réactions des partis les années précédentes en matière d’islamophobie (on se rappelle du soutien du PS de Manuel Valls au printemps républicain). Les partis sont fermes à présent : c’est le résultat d’une lutte de masse et de plusieurs mois d’opposition à la réforme des retraites, mais aussi de la lutte constante des militantes et militants des quartiers populaires et de la colère qui a suivi l’assassinat de Nahel M.
Ce soutien n’a visiblement pas dépassé la frontière, puisque Médine a été déprogrammé du festival quelques jours après l’attaque de George Louis Bouchez. Nous déplorons cette décision qui envoie un message clair, à un an des élections : face à la droite, on ne riposte pas, on se couche. Quand on voit la montée en puissance du Vlaams Belang et de la N-VA, le glissement vers les thèmes de l’extrême droite au MR, cette réaction fait peur pour l’avenir.
Le bourgmestre de Namur Maxime Prévot (Les Engagés, anciennement cdH) approuve la déprogrammation de Médine. Attitude étonnante, après la polémique suscitée par la condamnation de l’artiste Jean Fabre pour harcèlement sexuel au travail, où il a défendu l’idée qu’il fallait distinguer l’homme de l’artiste. Il semble que cela ne s’applique pas à Médine qui est pourtant excusé et qui a ces dernières années un engagement constant pour l’égalité et contre les discriminations. De plus, lors de la polémique à Namur concernant la statue de Léopold II, ou celle portant sur le musée africain, le bourgmestre n’a pas voulu effacer les hommages rendus aux responsables de crimes de masse.
Le festival des solidarités lui-même présentait Médine en ces mots : «Un timbre rocailleux pour mettre en relief la finesse de ses textes, une musicalité débordante qui ferait pâlir les plus élitistes : c’est la signature artistique du rappeur havrais Médine depuis maintenant huit albums. Naviguant aisément entre punchlines incisives, storytelling et messages intimes, le rappeur havrais n’a jamais hésité à utiliser sa musique pour se livrer et dévoiler ses failles. En filigrane de tout ce qu’il a proposé depuis plus de 15 ans de carrière, Médine conte des histoires de luttes éternelles qui se jouent dans le cœur de tout être humain : entre l’instinct et la raison, les principes et les pulsions, la logique et l’émotion. Ses textes se veulent originaux et percutants pour ne laisser aucun auditeur indifférent. Et ses combats qui valent la peine d’être écoutés et… soutenus ! »
Quel beau soutien que cette déprogrammation à cause d’une polémique portée par George Louis-Bouchez, dont le parti utilise l’opposition entre différentes catégories de la population pour justifier sa politique néolibérale et antisociale !
On ne lutte pas contre l’antisémitisme en cédant face à la droite opportuniste et hypocrite, mais via une lutte unifiée contre celle-ci. Le Festival Les Solidarités aurait dû maintenir la programmation de Médine et afficher un soutien clair à la lutte contre l’islamophobie, contre le racisme et contre les discriminations de manière générale. Mais maintenant que le mal est fait, ne baissons pas les bras : en mai 2022, une manifestation a eu lieu pour maintenir la venue de Médine au festival Libertad, alors que des figures de la politique locale s’y opposaient. Ensemble, nous avons la capacité de contester ces décisions, et d’avoir un poids.
Nous avons été heureux de lire le communiqué de presse critiquant la déprogrammation par l’association belgo-palestinienne, et également leur décision de maintenir un stand dans le village associatif, où ont pu avoir lieu des discussions plus profondes au sujet de cette déprogrammation et des stratégies à adopter contre la droite et l’extrême-droite.