Espagne : Quelle prochaine étape pour le M-15 ?

Ce mardi soir, l’Assemblée populaire du camp qui occupe la Puerta Del Sol à Madrid a voté de lever le camp et de s’orienter vers les barrios, les quartiers, où se déroulent également des assemblées. Que signifie ce nouveau développement ? Nous en avons discuté avec un représentant du Comité pour une Internationale Ouvrière présent depuis le début du mouvement en Espagne.

Socialisme.be : L’Assemblée a donc voté la levée de l’occupation pour ce dimanche 12 juin. Que cela signifie-t-il pour la suite du mouvement ?

Effectivement, l’idée est de quitter l’occupation permanente à Puerta Del Sol, qui est l’épicentre du Mouvement du M 15 (pour 15 mai, jour où a commencé la révolte). Le 12 juin, c’est le jour qui suit l’entrée en fonction des nouveaux gouvernements locaux, journée qui connaîtra de nouvelles mobilisations car ces nouveaux gouvernements appliqueront la politique d’austérité. Mais le 12, c’est aussi un jour où se réuniront au soir les barrios, afin de décider de la suite du mouvement.

Le message lancé est que l’occupation n’est pas abandonnée, ce n’est ni un retrait ni une défaite. Il s’agit potentiellement d’un nouveau stade de développement du mouvement. Les occupations n’existent pas pour elles-mêmes, elles illustrent l’indignation de la jeunesse contre les mesures d’austérité et la dictature des marchés. Cette indignation est d’ailleurs largement ressentie. Une occupante nous a ainsi dit que, alors qu’elle milite dans différents mouvement depuis des années, c’était la première fois que ses parents et sa famille comprenaient parfaitement ce qu’elle faisait, et la soutenaient.

Socialismo Revolutionario, le Comité pour une Internationale Ouvrière en Espagne, a toujours défendu que les occupations ne doivent pas être un but en soi, mais un outil. Il est nécessaire de construire un mouvement de masse avec des relais dans les entreprises, les quartiers,… En bref, il faut réussir à unir toutes les victimes du système. Le M-15 est quelque chose de neuf dans la situation, qui pénètre aussi dans les entreprises où des syndicalistes utilisent cet élément pour poser la question de la démocratie syndicale.

Socialisme.be : Ce n’est donc pas la fin ?

Non. Le 15 juin, le Parlement régional de Catalogne va voter le paquet d’austérité. Nous avons déjà eu de grandes réponses de la part de la population mais les Indignés de la place Catalunya à Barcelone et ailleurs en Catalogne ont décidé de s’orienter vers ces protestations, de les rejoindre et de mobiliser.

Ce jour-là, les travailleurs grecs connaitront leur 10e grève générale depuis la crise. Parallèlement, ISR (International Socialist Resistance, un mouvement international de jeunes lié au Comité pour une Internationale Ouvrière), appelle à une journée d’action internationale. Nous voyons les mouvements s’étendre de l’Espagne en Grèce,… C’est une expression du caractère international de la crise du capitalisme.

Socialisme.be : Revenons sur l’Espagne, quelles sont les tâches à venir pour le mouvement ?

Le mouvement a eu un gros impact en Espagne, mais doit se développer, avec des structures plus démocratiques et un programme militant. S’orienter plus consciemment vers les barrios est extrêmement positif. Mais il faut lier les barrios entre eux – aux niveaux local, régional et de l’Etat – à travers l’élection démocratique de représentants. Il serait aussi nécessaire de les étendre aux lieux de travail.

Le pouvoir des jeunes doit être lié au pouvoir décisif de la classe ouvrière dans l’objectif de construire une grève générale par en-bas contre l’austérité capitaliste et pour une alternative. Une telle grève générale doit faire partie d’un plan d’action démocratiquement élaboré par les travailleurs, contrairement à la précédente journée du 29 septembre 2010.

Socialisme.be : Tu parlais tout à l’heure d’une alternative. Que propose Socialismo Revolutionario et le CIO ?

Le capitalisme ne représente aucune alternative, il sera toujours la dictature des marchés. Il ne pourra pas donner naissance en son sein à une réelle démocratie. Il faut une alternative anticapitaliste, ce dont sont bien conscient la plupart des jeunes impliqués dans le M-15. Le tout est de savoir laquelle. SR plaide pour une alternative basée sur le contrôle démocratique des moyens des secteurs-clés de l’économie (finance, énergie, transport,…), c’est-à-dire leur expropriation pour qu’ils soient nationalisés sous le contrôle démocratique de la collectivité, des travailleurs et des jeunes. A partir de là, l’économie pourrait être orientée vers la satisfaction des besoins de la majorité grâce à une planification démocratique de la production.

Socialisme.be : Mais il est difficile de parler de politique dans le M-15…

Effectivement, un des aspects du mouvement parmi les plus forts est de rejeter les politiciens et les partis politiques. C’est compréhensible car aucune force politique n’a su représenter les intérêts des travailleurs et des jeunes. La gauche radicale a elle aussi failli, et son soutien électoral a d’ailleurs baissé. D’autre part, il y a eu de très nombreux scandales de privilèges et de corruption.

Mais parler d’une alternative au capitalisme, c’est politique. Maintenant, il est crucial d’adopter des positions politiques. En réponse au front unique des partis capitalistes, les jeunes et les travailleurs doivent évoluer vers une alternative politique.

Socialisme.be : Est-il plus facile d’aborder la politique dans les barrios, où sont présents des travailleurs, des personnes plus âgées,… ?

Il faut bien comprendre que la désillusion et le dégoût envers les partis politiques ne touche pas que les jeunes. Mais il est vrai que des pans de la classe ouvrière organisée espagnole ont une tradition de participation au mouvement communiste. L’incorporation de cette expérience au mouvement des jeunes sera très positive pour discuter et adopter une alternative politique démocratique capable de renverser la dictature des marchés capitaliste pour construire une réelle démocratie. Selon nous, cela ne saurait être qu’une société socialiste démocratique, une démocratie basée sur les conseils démocratiques construits dans les entreprises, les quartiers, les écoles, les universités,… Mais actuellement, aucune force politique conséquente ne défend cela.

Socialisme.be : Nous avons parlé des partis politiques, mais qu’en est-il des syndicats ?

Les dirigeants syndicaux reçoivent presque le même rejet que les politiciens capitalistes. Nous sommes d’accord avec cette opposition aux dirigeants syndicaux, ils ont appliqué une politique de collaboration avec les patrons et le gouvernement sur la réforme de la législation du travail. Depuis lors, le chômage a augmenté de 400.000 personnes (il y a pour l’instant plus de 4,5 millions de travailleurs sans emploi en Espagne). Maintenant, ils veulent changer la loi sur les négociations collectives.

Les dirigeants syndicaux n’ont aucune envie de se lancer dans une lutte généralisée contre l’austérité qu’ils ne pourraient pas contrôler. La grève générale du 29 septembre dernier, qui a vu plus de 10 millions de travailleurs entrer en grève, est une bonne illustration du potentiel de la classe ouvrière. Pour les directions syndicales, cette grève ne se situait pas dans le cadre de l’élaboration d’un plan d’action, mais pour faire retomber la pression.

Les travailleurs de la base doivent mener des actions militantes et faire pression sur les directions syndicales. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’elles appellent à une nouvelle grève générale car la pression est actuellement très grande. Les travailleurs et les jeunes ne doivent pas dépendre des dirigeants syndicaux.

La construction d’Assemblées démocratiques sur les lieux de travail et les barrios peuvent aider à construire une grève générale par en bas, de la base, pour que les dirigeants syndicaux n’aient plus d’autre choix que de suivre. Mais une seule grève ne sera pas suffisante. Il faut un plan d’action plus ambitieux. Il sera nécessaire dans ce processus de mettre dehors les dirigeants syndicaux actuels et de transformer les syndicats en réelles structures combatives et démocratiques.

 

Quelques slogans dans la manifestations du M-15:

 

  • Ce qu’il faut maintenant, c’est une grève générale.
  • La lutte est dans la rue, pas dans le parlement.
  • La vraie violence, c’est de ne pas savoir finir son mois.
  • Cette crise, c’est pas la nôtre, c’est celle du capitalisme.
  • Cette réforme, on va l’arrêter.
  • Le centre du mal, c’est le patronat.
  • La voix du peuple n’est pas illégale.
  • Ils disent que c’est la démocratie, mais ça ne l’est pas. Ils disent que ce n’est pas la dictature, mais ça l’est.
  • Tout pouvoir aux assemblées de quartier
  • Tout ce qu’on nous promet, c’est un futur de merde et du travail précaire.
  • Ces contrats précaires : pour les députés.

 

Vers la police :

 

  • Vos chefs sont dans leurs fauteuils.
  • La police aussi a des enfants.
  • Nous avons raison, et vous le savez.
  • Vous aussi, vous êtes le peuple.