Critique: ‘Comment les riches détruisent la planète’, par Hervé Kempf

Le lecteur de www.gauche.be pourrait penser qu’avec un titre pareil, ce petit livre de 125 pages aura fait notre bonheur.

En un sens oui, car il part d’un constat correct, celui d’associer la crise sociale et la crise écologique en pointant directement le capitalisme comme responsable. Mais Hervé Kempf reste toutefois très fortement marqué par les délires de l’idéologie dominante concernant la ‘nature humaine’ compétitive par essence ou encore ‘l’idéal d’universalité de l’Europe’.

Comme le dit l’auteur, le constat est brutal: «Si rien ne bouge alors que nous entrons dans une crise écologique d’une gravité historique, c’est parce que les puissants de ce monde le veulent». Il dit encore qu’il est nécessaire de «comprendre que crise écologique et crise sociale sont les deux facettes d’un même désastre. Et que ce désastre est mis en œuvre par un système de pouvoir qui n’a pour fin que le maintien des privilèges des classes dirigeantes.»

Nous rejoignons Hervé Kempf dans le constat, fort étaillé, qu’il tire du monde inégalitaire dans lequel nous vivons. Un monde où le pourcent le plus riche possède 183 fois ce que possèdent les 20% les plus pauvres. Un monde où un milliard de citadins (un tiers de la population urbaine mondiale) vit dans des bidonvilles. Un monde où un revenu de moins d’un million de dollars fait de vous «le plancton à la base de la chaîne alimentaire», pour reprendre les termes du Financial Times.

 

Une grille d’analyse farfelue, des solutions qui le sont tout autant

Mais notre accord s’arrête à ce constat – pour lequel il ne suffit du reste que de savoir ouvrir les yeux honnêtement. En guise d’analyse, pour expliquer comment nous en sommes arrivés à une pareille situation, Hervé Kempf se base essentiellement sur les travaux d’un économiste de la fin du XIXe siècle, Thorstein Veblen. Pour ce dernier, l’économie est dominée par un principe fondamental: «La tendance à rivaliser – à se comparer à autrui pour le rabaisser – est d’origine immémoriale : c’est un des traits les plus indélébiles de la nature humaine». Pour Vleben, donc, le principal moteur de la vie sociale est une rivalité ostentatoire, une concurrence basée sur l’exhibition d’une prospérité supérieure à celle de son entourage directement sortie des profondeurs de la nature humaine.

Depuis lors, de nombreuses recherches anthropologiques ont permis de tordre le cou à de nombreuses conceptions de la prétendue ‘nature humaine’, de la pensée de Vleben au darwinisme social.

On connait ainsi bien mieux maintenant la manière dont les humains étaient organisés et ont pu vivre pendant des millions d’années. Les sociétés nomades de chasseurs-cueilleurs égalitaires primitives étaient basées sur la coopération et non sur la compétition. Ce n’est qu’après la révolution agraire, une fois les nomades devenus cultivateurs, qu’un surplus de richesse est apparu, base matérielle pour l’émergence d’une classe dirigeante et pour une modification profonde des rapports sociaux. Toujours est-il que des millions d’années durant, les êtres humains seraient allés à l’encontre de leur ‘nature humaine’…

Dans beaucoup de sociétés, la notion de compétion existait à peine. Par exemple, aux Etats-Unis, quand des chercheurs ont voulu faire passer des tests de QI à des Sioux, les Amérindiens n’arrivaient pas à comprendre pour quelle raison ils ne devaient pas s’entraider pour répondre aux questions. Leur société était basée sur une intense coopération.

Cette ‘nature humaine naturellement portée à la compétition’ sert en fait de prétexte pour ne pas chercher à modifier radicalement le système de production capitaliste. De nombreux penseurs sont tombés dans ce piège, et Hervé Kempf lui-même a sauté dedans à pieds joints. S’il fait par exemple le parallèle entre le développement des services collectifs et celui d’une société égalitaire, il refuse de pousser cette logique jusqu’au bout. Il ne parle dans son chapitre consacré aux solutions que d’un plafonnement de la consommation par une limite imposée aux revenus. Sur base de l’exemple ainsi donné par les super-riches, les autres couches de la société suivraient par mimétisme. Au-delà de cette ‘solution’ au réalisme ténu, reste encore à savoir comment plafonner ces revenus. Demander gentillement ne suffira très probablement pas…

Pour Hervé Kempf, le ‘mouvement social’ (concept plutôt vague: que représente ce spectre et sur quelles forces est-il basé?) ne pourra l’emporter seul et devra s’unir aux classes moyennes et à une partie de l’élite dirigeante qui prendrait le parti «des libertés publiques et du bien commun». Les médias, encore, ont un rôle à jouer car «la corporation des journalistes n’est pas encore totalement asservie et pourrait se réveiller autour de l’idéal de liberté». Il y a aussi «la gauche», qui devra unir la lutte contre les inégalités et pour l’écologie.

 

Sortir de l’idéalisme

Hervé Kempf espère qu’il arrivera un jour une prise de conscience quasiment spontannée qui toucherait une partie des classes dirigeantes et des médias. Il consacre pourtant de nombreuses pages à expliquer à quel point cela va à l’encontre de leurs intérêts. Et ce n’est pas la seule contradiction de son travail.

Alors qu’il dénonce très justement l’élargissement du fossé entre riches et pauvres et les conséquences des politiques néolibérales, notamment en Europe, il enscence un des principaux instrument et prétexte de la casse sociale dans nos pays, l’Union Européenne. Des phrases comme: «L’Europe porte encore en elle un idéal d’universalité dont elle démontre la validité par sa capacité à unir, malgré les difficultés, des Etats et des cultures très différents» ne semblent pas à leur place dans un livre qui a pour titre «Comment les riches détruisent la planète»

On peut encore critiquer un certain anti-américainisme primaire (le qualificatif de «puissance obèse» et d’autres termes suintent l’arrogance envers un peuple américain qui souffre lui aussi de son gouvernement) et, de façon générale, l’idée de l’existence d’une forme de communauté d’intérêts au sein d’un même pays. Encore une fois, un joli paradoxe après des pages qui expliquent correctement comment la richesse des capitalistes repose uniquement sur l’exploitation des travailleurs, quelle que soit leur nationalité.

Pour critiquer ceux qui ne voient pas la responsabilité écrasante des capitalistes et le lien entre la crise écologique et la crise sociale, Hervé Kampf écrit un moment: «Si l’on veut être écologiste, il faut arrêter d’être bénêt.» Ce n’est pas faux, et nous l’invitons d’ailleurs à suivre son propre conseil.

La force fondamentale sur laquelle nous devons compter est le mouvement ouvrier organisé, seul capable à prendre les moyens de production entre ses mains pour les faire fonctionner dans le bien de tous. Tant que les leviers de l’économie restent sous le contrôle du privé, l’intérêt collectif – dont la question environnementale – restera négligeable sur les profits qui peuvent être accumulés. D’autre part, une gestion responsable des ressources de la planète nécessite d’aller au-delà d’incitant à une moindre consommation : il faut planifier centralement l’économie en fonction des ressources disponibles et pour la satisfaction des besoins de tous.

Nous pouvons bien comprendre que certains amalgament toujours le stalinisme et le socialisme, le véritable pouvoir des travailleurs. Le contrôle démocratique de la collectivité est un point fondamental pour une société planifiée, comme l’effondrement des dictatures bureaucratiques des pays de l’Est l’ont démontré. Cette lutte pour une société démocratiquement planifiée sous le contrôle des travailleurs est la seule qui soit une solution globale face aux crises écologique et sociale.