Après un an et demi de blocage complet, les cinq partis du gouvernement fédéral ont réussi à trouver un accord sur la question de la régularisation des sans-papiers. Un pas en avant ? Oui. Une avancée historique ? Franchement non. Le caractère extraordinaire de cet accord, c’est qu’il a été atteint ce week-end en quelques heures alors que ce dossier était complètement bloqué depuis 18 mois et que ni les pressions des partis, ni les interpellations parlementaires, ni les manifestations ni les grèves de la faim n’avaient réussi à faire avancer le débat. Mais ce qui est tout aussi extraordinaire, c’est que ce grrrrand accord (comme dirait Daerden)… confirme simplement un accord précédent conclu à la formation du gouvernement Leterme. Alors qu’est-ce qui a bien pu se passer ces derniers jours ?
Pourquoi un déblocage aujourd’hui ?
La conclusion de cet accord est incontestablement le résultat indirect de la défaite des libéraux aux élections régionales de juin. Le MR est maintenu dans l’opposition en Wallonie, à Bruxelles et en Communauté française tandis que le VLD est rejeté dans l’opposition en Flandre. Privés de relais de pouvoir au niveau régional, les libéraux sont de ce fait sérieusement affaiblis au sein du gouvernement fédéral. D’autre part, De Gucht, vice-premier ministre VLD du gouvernement Van Rompuy et un des tenants de la ligne dure contre les sans-papiers, est parti à la Commission européenne. Le remaniement gouvernemental qui a suivi a donné l’occasion à Van Rompuy de débarquer la VLD Annemie Turtleboom du secrétariat d’Etat à l‘Asile et aux Migrations où, depuis un an et demi, elle bloquait obstinément toute avancée dans le dossier de la régularisation. Elle y est remplacée par Melchior Wathelet (CDH) tandis que l’accueil des demandeurs d’asile est désormais de la compétence de Philippe Courard (PS). Affaibli et écarté du cœur des décisions dans ce dossier, le VLD a livré un baroud d’honneur ce week-end avant de devoir céder partiellement.
Loi, circulaire ou instructions ?
PS et CDH voulaient initialement une loi. L’accord gouvernemental de mars 2008 qui prévoyait une circulaire ministérielle marquait déjà un recul. Quant à l’accord de ce week-end, il prend la forme d’« instructions » ministérielles en direction de l’Office des Etrangers. Tout dépend donc – et encore plus dans le cas d’instructions que dans celui d’une circulaire – de la bonne volonté du ministre à faire pression sur la direction et l’administration de l’Office. Un nouveau changement de parti à ce poste pourrait re-bloquer la situation à l’avenir. Les avocats des sans-papiers se consolent en affirmant que ces « instructions » coulées dans un accord gouvernemental donneront aux avocats des moyens de recours contre les décisions négatives de l’Office.
Qu’y a-t-il dans ces instructions ?
Elles reprennent d’abord les trois critères de régularisation qui étaient prévus dans l’accord gouvernemental (jamais appliqué) de mars 2008.
- une procédure anormalement longue de demande d’asile. Si la durée de celle-ci (demande d’asile, refus de l’Office des Etrangers, recours au Conseil d’Etat, délai d’attente pour une demande de séjour) atteint 5 ans (4 ans pour les familles avec enfants scolarisés), les personnes sont régularisées. C’est le seul critère de régularisation permanent.
- l’ancrage social durable. Les personnes qui peuvent prouver 5 ans de présence en Belgique et le fait d’avoir eu un séjour légal ou d’en avoir demandé un avant le 18 mars 2008 (date de l’accord gouvernemental) seront régularisées. Cela concerne les demandeurs d’asile qui ont été déboutés mais aussi les anciens étudiants et tous les sans-papiers qui ont introduit un jour une demande de régularisation. Ces personnes devront prouver qu’elles ont des liens affectifs, sociaux, économiques en Belgique (connaissance des langues, parcours scolaire des enfants). C’est l’Office des Etrangers qui examinera la demande. En cas de doute, la Commission consultative des Etrangers rendra un avis.
- le travail. Ceux qui n’ont jamais fait de démarche de demande d’asile ou de régularisation pourront utiliser ce critère s’ils apportent des preuves qu’ils étaient déjà en Belgique avant le 31 mars 2007 et s’ils peuvent montrer qu’ils ont une offre ferme de contrat de travail ou s’ils ont un avis positif des régions quant à l’octroi d’un permis de travail B.
A ces trois critères s’ajoute la confirmation du pouvoir «discrétionnaire» du ministre, prévu par la loi, qui lui permet de «repêcher» des personnes dont la régularisation a été refusée sur base de ces trois critères mais dont il estime qu’elles sont dans une situation humanitaire urgente ainsi que les personnes «les plus vulnérables».
Les sans-papiers disposeront de trois mois à partir du 15 septembre (soit jusqu’au 15 décembre) pour rentrer leur dossier à l’Office. Un délai que le Forum Asile et Migrations (qui regroupe une série d’ONG qui soutiennent les sans-papiers) estime suffisant mais qu’une partie des avocats trouve trop court.
Une « solution » partielle…
Le journal « De Standard » estime, sur base de renseignements recueillis auprès des négociateurs, que cette mesure de régularisation pourrait toucher 25.000 personnes, soit un quart du nombre estimé de sans-papiers en Belgique. On est donc très loin d’une mesure de régularisation générale.
Les critères sont en effet fortement restrictifs. Justifier 5 ans de présence en Belgique, c’est loin d’être facile. Les patrons qui emploient des travailleurs sans-papiers en noir (donc sans aucune trace auprès de la Sécurité sociale) n’ont pas l’habitude de leur distribuer des bordereaux de salaire, les proprios qui leur louent des chambres ne leur donnent pas nécessairement des reçus de loyer, les tickets de bus ou de cinéma ne sont pas des preuves personnelles reconnues,…
Quant à tous ceux qui sont arrivés en Belgique au cours des 5 dernière années, ils tombent en dehors des deux premiers critères. Leur seule solution serait à trouver du côté d’une proposition ferme d’un contrat de travail (mais combien de patrons employant des sans-papiers sont prêts à les engager avec contrat de travail, cotisations à la Sécu et préavis de licenciement ?) ou d’un avis positif des Régions pour un permis de travail. Ce qui ne concerne qu’un nombre très limité de sans-papiers. Et ce qui crée un problème nouveau. Car cela fait dépendre le sort des sans-papiers de l’état du marché de l’emploi dans leur région mais aussi de la volonté politique des autorités régionales. Rien n’est clair sur ce point mais on imagine sans peine qu’il vaudra mieux que le sans-papier habite Liège qu’Anvers…
…et limitée
Mais la plus grosse limite de cet accord, c’est son caractère limité dans le temps. A part le 1er critère (les procédures anormalement longues), tout le reste forme une opération « one shot » qui prendra officiellement fin en décembre 2009. Il n’y aura pas de Commission permanente de régularisation. Tous les sans-papiers qui continueront à arriver en Belgique (car on ne voit pas bien pourquoi les effets du dérèglement climatique, de la crise alimentaire, de la misère, de la répression,… auraient pris fin dans le monde le 18 juillet 2009 à l’occasion de la signature d’un mini-accord gouvernemental belge) continueront aussi à devoir plonger dans la clandestinité dès leur arrivée ou dès que l’office des Etrangers aura rejeté leur demande.
Il est clair que le VLD (et le MR qui était plus discret sur cette question mais n’en pensait pas moins) a du faire des concessions parce que la situation devenait intenable pour lui. Mais il est tout aussi clair que les mesures décidées ce week-end se limitent à mettre en œuvre un accord accepté par tous les partis du gouvernement fédéral il y a presque un an et demi et qui n’apporte qu’une réponse très limitée aux revendications des sans-papiers. Et qu’elles continuent à garantir au patronat l’existence d’une main d’œuvre nombreuse qu’il pourra continuer à surexploiter.
Une régularisation partielle est une victoire partielle – pour autant qu’elle ne serve pas de prétexte à une partie du mouvement de soutien pour arrêter le combat mais qu’elle encourage au contraire à poursuivre la lutte pour une régularisation générale. Plusieurs organisations de sans-papiers ont déjà annoncé que leur lutte continuait. La solidarité doit elle aussi continuer et grandir.