Au cours de l’année passée, de nombreuses voix se sont fait entendre pour exiger une politique d’asile plus humaine – et en particulier des critères clairs pour l’obtention de papiers, comme promis par l’accord gouvernemental. Des institutions universitaires, une liste impressionnante de membres du personnel académique, les religions reconnues, les syndicats FGTB et CSC,… soutiennent la revendication de critères clairs posée par les organisations de sans-papiers. Mais, politiquement, l’affaire reste bloquée. Il est fort peu probable que la ministre Turtelboom (Open VLD) accepte un accord à ce sujet avant les élections. Pourquoi ? En raison de considérations électorales ? Oui, mais pas uniquement.
Ces appels – généreux et positifs – témoignent néanmoins d’une grande naïveté en plaidant pour plus un approche plus morale de la question. La politique néolibérale menée ces 30 dernières années a fait grimper la pauvreté jusqu’à 15% de la population (officiellement…). Faute de moyens, un fossé de plus en plus grand s’est creusé dans l’enseignement entre les «bonnes» et les «mauvaises» écoles (et leurs élèves). Les patients doivent aujourd’hui cracher environ un tiers du coût des soins de santé. Et la liste est encore longue. Comment peut-on dès lors espérer une politique d’asile qui serait plus «humaine» ? Une politique « humaine » ?
Dans un appel publié à la mi-mars dans les quotidiens Le Soir et De Standaard, plus de 500 membres du personnel des universités et des hautes écoles écrivent : “Nous demandons aux hommes et aux femmes politiques qui s’engagent dans la campagne électorale de ne pas exploiter la situation de détresse des sans-papiers dans un sens xénophobe et de montrer aux électeurs qu’on peut traiter, de façon juste et sensible, des situations humainement complexes. Parce que trouver des solutions collectives qui respectent la dignité de chaque être humain est le propre de la politique en démocratie.”
Le PSL soutient sans réserves les revendications pour “une politique de régularisation fondée sur des critères clairs et généreux”. Mais nous partageons pas la croyance en la possibilité d’une “politique qui respecte la dignité des êtres humains” sous le capitalisme. Etienne Vermeersch (ancien professeur et recteur de l’Université de Gand, ayant participé comme expert à la Commission Ethique sur le droit d’asile) ne dit d’ailleurs pas autre chose – de son point de vue de défenseur de l’ordre établi: “C’est une erreur de penser qu’on peut améliorer quelque chose là-bas en faisant venir un flot d’immigrés ici. (…) Si on imposait cette politique utopique, cela conduirait à de fortes réactions xénophobes parmi la population. Une grande partie de la population belge trouve qu’elle ne vit pas assez bien. Si la pension était réduite de moitié sur base d’un point de vue éthique en faveur des immigrés, cela ne passerait pas parmi la population.”
Travailleurs et pensionnés n’accepteraient effectivement jamais cela, les pensions étant déjà honteusement basses dans notre pays. La déclaration de Vermeersch montre bien pourquoi le gouvernement actuel ne pourra pas élaborer de solution « humaine » pour la question des réfugiés. Parce que dans la logique capitaliste – qui considère que les profits de la petite élite sont intouchables et donc que toute politique sociale doit être payée par les travailleurs eux-mêmes – une solution réellement « humaine » est impossible et la seule solution est une politique inhumaine. Une politique qui montre la porte de sortie aux gens qui fuient la guerre, l’exploitation, l’oppression et la pauvreté la plus extrême. Une politique qui divise la majorité exploitée de la population sur base du racisme, du nationalisme, du sexisme,… de manière à ce qu’il ne reste plus alors qu’à désigner la population travailleuse elle-même comme de grands égoïstes qui ne sont pas prêts à «consommer moins» pour aider les autres.
Résister aux divisions
Les moyens pour une politique digne de l’être humain existent pourtant, même avec la crise économique actuelle. Mais, pour financer une telle politique, il faut prendre l’argent ailleurs que dans les poches des 80% de la population qui vit de son salaire ou d’allocations et qui ne reçoivent même pas la moitié de la richesse qu’ils ont eux-mêmes produite dans le pays. Et seule une lutte de classes décidée pourra libérer les moyens qui permettraient à la fois de meilleurs salaires et allocations ainsi qu’un traitement humain des pauvres du monde qui échouent ici.
Il serait naïf de croire qu’un seul des partis traditionnels – même parmi ceux qui s’affirment favorables à des critères clairs de régularisation pour éviter les cas les plus pénibles d’inhumanité – soit préparé à mener cette lutte. Ni en Belgique, ni dans le monde. Le mieux à attendre des politiciens actuels, qu’ils soient verts, «humanistes» ou sociaux-démocrates est une grande dose de moralisme. Pas des solutions réelles.
Le racisme et les autres formes de discrimination se développent surtout dans les périodes de grande pénurie pour la grosse majorité de la population, quand augmentent le chômage, la pauvreté et la peur du lendemain. Les patrons et les gouvernements à leur service visent consciemment à accentuer la concurrence parmi les travailleurs afin de les diviser et de les affaiblir pour pouvoir démanteler encore plus rapidement les acquis qui subsistent encore en matière de salaires, de contrats de travail, de conditions de travail, de niveau de vie,… C’est ainsi que les patrons cherchent à créer des groupes de travailleurs sous-payés et sous-protégés – non seulement les réfugiés et les sans-papiers, contraints au travail en noir, mais aussi les femmes et, de plus en plus, les jeunes et les travailleurs âgés (comme les futurs « livreurs » de La Poste) – pour mettre la pression la plus grande possible sur les acquis de l’ensemble des travailleurs.
Pour pouvoir résister à ces divisions et au poison raciste, il faut rétablir la vérité sur base de faits clairs (et pas comme maintenant avec des formules vagues et fausses comme les « flots massifs» de réfugiés), afin d’arriver à un point de vue qui mette en évidence les intérêts communs qu’ont les travailleurs et les pauvres d’ici avec les réfugiés et les sans-papiers et à une politique qui aille chercher les moyens financiers pour une politique humaine là où ils se trouvent.