France : L’interdiction des groupuscules néo-nazis est insuffisante pour les stopper

A la suite de l’assassinat du jeune militant antifasciste Clément Méric le 25 juin dernier à Paris, le conseil des ministres a officiellement dissous les groupes d’extrême droite ‘‘Troisième Voie’’ et ‘‘Jeunesses Nationalistes révolutionnaires’’ ainsi que l’association ‘‘Envie de rêver’’ ce mercredi 10 juillet. Leur chef de file, Serge Ayoub, avait cependant déjà annoncé leur autodissolution. S’il sera dorénavant plus difficile de s’organiser pour Serge Ayoub & Co, le terreau sur lequel peut se développer la violence fasciste reste bel et bien présent.

Le meurtre de ce jeune militant antifasciste n’était pas le premier cas de violence fasciste en France. Ces derniers temps, les néonazis se sont sentis encouragés par les grandes manifestations réactionnaires contre le mariage homosexuel et par la nouvelle croissance du Front National dans les sondages. Cela a conduit à une série d’incidents violents, l’assassinat de Clément Méric en constituant le point d’orgue.
La réponse des partis de l’establishment face à cette violence s’est limitée à lancer une procédure de dissolution des ‘‘Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires’’ (JNR), dont était membre le meurtrier présumé de Clément Méric. Les JNR constituaient le service d’ordre du mouvement ‘‘Troisième Voie’’, contre lequel avait également été lancé une procédure d’interdiction. Enfin, l’association ‘‘Envie de rêver’’, l’association exploitant le local du mouvement ‘‘Troisième Voie’’ a subi le même sort. Ces interdictions sont basées sur une loi datant de 1936 interdisant les milices privées, une mesure qui avait été prise à l’époque contre les milices fascistes. Ce n’est pas la première fois que des groupes d’extrême-droite sont interdits en France. Au cours de ces 77 dernières années, pas moins de 49 milices d’extrême-droite ont été interdites. Cette loi a par ailleurs également été utilisée contre des mouvements de la gauche radicale ou régionalistes.

Qui est Serge Ayoub ?

Le leader de ‘‘Troisième Voie’’, Serge Ayoub, n’est en aucun cas une figure irréprochable. Ayoub, alias ‘‘Batskin’’ (en raison de sa préférence pour les battes de baseball dans les confrontations avec ses opposants), est actif depuis le début des années ’80, notamment sur la scène rock néonazie. C’est à cette même période qu’a commencé à se développer le Front National, sous la direction de Jean-Marie Le Pen, et Serge Ayoub s’est impliqué dans les campagnes du FN. Parallèlement, on l’a retrouvé auprès de hooligans, et c’est sur cette base qu’il a constitué son propre groupe, les ‘‘Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires’’ (JNR), à la fin des années ’80. Ce groupuscule a travaillé un moment au sein du mouvement ‘‘Troisième Voie’’ (qui sera dissout en 1992 et relancé en 2010 sous l’impulsion de Serge Ayoub) et même avec le GUD (Groupe Union Défense, organisation étudiante d’extrême-droite). Ce dernier groupe, qui avait lancé ‘‘Unité Radicale’’ en 1998, a été dissous en 2002 après qu’un de ses membres ait tenté d’assassiner Jacques Chirac, à l’époque président français. Ce groupe a toutefois poursuivit ses activités et a fait son retour sur la scène publique en 2009.
Au début des années ‘90, le Front National ne rechignait pas à faire appel aux forces plus ouvertement néonazies comme les JNR, le GUD et autres. Tout en refusant d’endosser toute la responsabilité des actions de ces groupuscules, le FN leur a offert un espace pour développer leurs activités. En 1995, l’ancien dirigeant du FN Carl Lang (qui a depuis lors fondé le Parti de la France, PDF) avait même offert un emploi à Ayoub en tant que permanent du parti, ce que ce dernier a finalement refusé parce que le service d’ordre du FN aurait livré à la police les noms et adresses des skinheads néonazis suspectés d’avoir assassiné un immigré lors du défilé du 1er mai 1995 du FN.
Dans la seconde moitié des années ’90, Serge Ayoub a connu beaucoup de problèmes qui avaient bien moins à faire avec la politique. Il a ainsi été arrêté en mars 1997 pour possession et trafic de stupéfiants. Après quelques temps en prison, il a disparu à l’étranger pour rentrer en France au milieu des années 2000. Il a alors ouvert un bar et a tenté de récupérer ses anciens contacts. Des rumeurs disent que son séjour à l’étranger avait été décidé dans le cadre d’un accord avec la police.
C’est autour de son café parisien qu’il a finalement redonné une nouvelle vie aux JNR et à ‘‘Troisième Voie’’ en 2010. Afin de sortir du pur cadre parisien, il a cherché à nouer contacts avec des nationalistes régionalistes, avec un succès cependant modéré. Au début de cette année, une manifestation nationaliste ‘‘contre l’impérialisme’’ à l’initiative de Serge Ayoub avait réuni quelques centaines de manifestants, avec parmi eux une délégation belge du groupuscule francophone Nation et du groupuscule néerlandophone des Autonome Nationalisten (nationalistes autonomes). Serge Ayoub est quant à lui venu à Bruxelles pour participer au défilé du 1er mai de Nation.

Interdiction des JNR et de ‘‘Troisième Voie’’

L’interdiction des JNR et de ‘‘Troisième Voie’’ survenue cette semaine est la conséquence directe de l’assassinat de Clément Méric. Serge Ayoub avait lui-même décidé d’annoncer fin juin l’autodissolution de ces deux organisations. Maintenant que l’interdiction a été officiellement prononcée, il a décidé de se pourvoir en appel. La fermeture du local de ces néonazis à Paris entraînera sans aucun doute quelques problèmes pratiques pour l’organisation groupée autour d’Ayoub.
S’il y a bien quelque chose que démontre l’actualité récente des groupuscules néonazis français, c’est que des mesures d’interdiction sont insuffisantes pour briser leur activité. De nombreux groupes ont déjà été interdits sans que la violence néofasciste ne disparaisse pour autant. Pour peu que l’extrême-droite ‘‘officielle’’ passe à l’offensive – dans le cas des succès électoraux du FN ou des mobilisations réactionnaires contre le mariage homosexuel – les franches les plus radicales en profitent aussi pour se renforcer et pousser de l’avant leur violence.
Interdire ces groupes peut rendre plus difficile aux néonazis de s’organiser, mais cela ne change rien au terreau sur lequel ils peuvent se développer. Une société caractérisée par la crise et la dégradation sociale qui y est associée offre un espace d’intervention pour les groupes néonazis violents, qui essayent d’instrumenter la colère et le mécontentement en l’orientant non pas vers les véritables responsables de la crise et de l’austérité, mais vers des boucs-émissaires. En cas de poursuite de la casse sociale, ils peuvent même disposer d’un certain soutien dans la population (il suffit de penser à Aube Dorée en Grèce). S’en prendre aux raisons qui expliquent ce soutien signifie de construire une force capable de lutter efficacement contre le système de crise qu’est le capitalisme et pour une alternative.
Le premier test concernant ces mesures d’interdiction ne sera pas long à venir : une manifestation est annoncée à Paris le 14 septembre prochain contre ‘‘la répression socialiste’’. Cet événement est officiellement destiné à soutenir Esteban Morillo, le militant des JNR suspecté d’avoir tué Clément Méric et est à l’initiative d’un ‘‘collectif pour la défense des libertés publiques’’. Il s’agit très clairement d’une tentative visant à continuer à organiser les troupes néonazies de Serge Ayoub. Cette manifestation pourra-t-elle avoir lieu sans entraîner une forte mobilisation pour une contre-manifestation ?
Il faut aussi se demander ce qui va se produire avec les alliés d’Ayoub & Co dans notre pays. Le groupuscule Nation collabore très explicitement avec le mouvement construit autour de la figure d’Ayoub et était notamment particulièrement fier de pouvoir dire que le ‘‘leader’’ français avait participé au défilé marginal organisé par le mouvement le 1er mai. Nation, et d’autres, continuent d’ailleurs de défendre Ayoub et son groupe et essayent de parler de cette violence meurtrière de manière positive, ou au moins de la minimiser.
Contre des groupuscules comme Nation, la vigilance est nécessaire. Leurs alliés français ont clairement démontré qu’ils n’hésitaient pas à recourir à la violence contre leurs opposants. Leurs alliés grecs illustrent qu’une crise profonde peut leur fournir un certain soutien social. A nous d’éviter que des gens puissent se tromper de colère en menant une lutte résolue contre le capitalisme et en construisant une résistance collective de toutes les victimes du système – jeunes, aînés, hommes, femmes, travailleurs de toutes origines et de toutes langues,… – contre les responsables de la crise. Le problème, c’est le banquier, pas l’immigré !
 
Dossier sur Serge Ayoub