Il y a vingt ans était lancée la campagne antiraciste Blokbuster. C’était l’été 1991, à l’aube du “dimanche noir” (le 24 novembre 1991, date marquée par la percée électorale du Vlaams Blok) et de l’explosion consécutive des protestations de la jeunesse contre le racisme et l’extrême-droite. Aujourd’hui, certains déclarent à tort que le danger de l’extrêmedroite est passé.
La faillite de la société multiculturelle ?
Dans ce climat de crise économique et de problèmes sociaux qui en résultent, les politiciens traditionnels européens organisent la surenchère en voulant être les premiers à déclarer que la société multiculturelle a échoué. Après Angela Merkel, Nicolas Sarkozy a lui aussi lancé des déclarations en ce sens.
Aujourd’hui, l’extrême-droite ne détient plus le monopole de la rhétorique anti-immigré. En Allemagne, le livre de l’ancien chef de la Bundesbank, Sarrazin (SPD, social-démocratie) sur le soi-disant ‘débat sur l’intégration’ est devenu un best-seller. Dans ce livre, il y déclare que les immigrés (particulièrement quand ils sont issus des pays musulmans), sont eux-mêmes responsables de la pauvreté ou encore du chômage. La racine de ces problèmes serait culturelle. La tendance actuelle est donc à séparer les problèmes sociaux, de la société qui les développe, on rend les victimes individuellement responsables de leur propre sort.
Nous nous opposons à une telle approche. Le chômage en hausse, l’insécurité de travail, le démantèlement des services sociaux et la tendance des salaires à la baisse (très certainement dans les emplois précaires) constituent les causes de nombreux problèmes sociaux. Cela n’a rien à voir avec une quelconque différence culturelle, mais avec la soif de profit d’une élite capitaliste qui n’hésite pas à plonger une bonne partie de la population dans la misère.
Les immigrés ne sont pas responsables du modèle néolibéral cherchant le profit à tout prix. Comme le modèle allemand, où une large couche de travailleurs ne gagne que de bas salaires. Gagner cinq euros de l’heure n’est plus une exception. Cette hypocrisie est surtout celle des politiciens et des patrons: afin de faire chuter les salaires, ils se servent volontiers d’une main-d’oeuvre illégale et bon marché. C’est cela qui, par exemple, explique pourquoi le taux de pauvreté dans la population d’origine marocaine est de 55% en Belgique. Parallèlement, le racisme est propagé pour créer des divisions au sein de la population laborieuse.
S’opposer à la continuelle destruction de nos salaires et de nos conditions de travail nécessite de lutter ensemble. C’est pourquoi nous disons : tout ce qui nous divise, nous affaiblit.
La fin de l’extrême-droite ?
Dans divers pays, comme chez nous, l’extrême-droite a perdu une partie de son électorat. Le Vlaams Belang ne détient plus aujourd’hui le monopole des campagnes populistes, et une partie du message du parti a été repris par d’autres. Après vingt ans, les dirigeants du parti commencent à perdre de leur superbe, et la croissance électorale rapide des années ‘90 a ouvert les portes aux querelles de carrière. L’arrivisme et l’opportunisme ne sont pas choses inconnues au Vlaams Belang…
Il est toutefois encore trop prématuré d’affirmer que cela sonne le glas du VB et de l’extrême-droite. C’est au contraire la multiplication d’autres forces populistes qui rend le racisme du VB de plus en plus acceptable. En même temps, l’extrême-droite continue à lancer des initiatives, à s’organiser et à attirer des jeunes – généralement des jeunes qui ont encore peu de liens avec la société. Face à un contexte d’électorat toujours plus volatil, il n’est pas à exclure que l’inévitable désillusion qui touchera l’actuel soutien électoral de Bart De Wever conduise à terme à un nouveau soutien pour le Vlaams Belang dans les urnes. Tant qu’aucune alternative de gauche ne voit le jour face aux politiciens des partis établis, l’espace subsistera toujours pour des formations telles que le VB.
Tous ensemble
La campagne antifasciste Blokbuster s’oppose activement au racisme, mais aussi à la politique néolibérale et au capitalisme, de façon à mettre à jour les véritables contradictions de la société.
C’est ce que nous avons vu en Égypte où, il y a quelques semaines à peine, les discussions étaient focalisées sur les tensions entre les chrétiens égyptiens (les coptes) et musulmans suite à l’attentat perpétré contre une église à Noël. Mais, dans le puissant mouvement de protestation contre Moubarak, les coptes et les musulmans des milieux modestes ont lutté côte à côte. Les tensions religieuses sont devenues superflues du fait de la résistance commune contre la clique dominante. A tel point que les coptes protégeaient les musulmans durant leur prière place Tarhir !
Afin de lutter contre le racisme, le sexisme, l’homophobie, etc., le mouvement des travailleurs doit partir à l’offensive pour que les contradictions consciemment renforcées (sur base de religion, de couleur de peau,…), et qui semblent à première vue insurmontables, soient reléguées au dernier plan. Lorsque les mines de charbon du Limbourg étaient encore ouvertes, les mineurs accentuaient cette unité en criant : ‘‘dans les mines nous sommes tous noirs!’’
En luttant ensemble contre le chômage, la pauvreté et l’exploitation, nous pouvons réduire à néant les préjugés racistes et orienter la discussion au sujet de l’alternative anticapitaliste à défendre. Une société socialiste démocratique permettrait de mettre au coeur du débat les besoins de la majorité de la population et d’utiliser les richesses présentes à cette fin. La disparition des pénuries et de la lutte pour s’en accaparer réduirait le racisme à une curiosité historique.
Mener des actions et des manifestations antiracistes, comme le fait Blokbuster/JRE depuis vingt ans, fait partie intégrante de cette lutte pour une autre société. Nous voulons entrer en discussion avec des jeunes et des travailleurs pour que leur colère ne soit pas dilapidée et s’oriente vers une lutte efficace pour le changement.
Début années 90 : lutte spontanée des jeunes
Après le 24 novembre 1991, dans toute la Flandre, des actions spontanées ont eu lieu dans des dizaines de villes et de villages pour protester contre le racisme et contre le Vlaams Blok. Avec Blokbuster, les jeunes en voie de radicalisation disposaient d’un instrument pour organiser leurs actions et aborder les origines plus profondes de la percée de l’extrême-droite. Des dizaines de comités existaient, partout en Flandre, avec des centaines de membres. Blokbuster donnait une orientation politique aux protestations spontanées en mettant en avant des slogans comme ‘Des emplois, pas de racisme’.
En 1992, Blokbuster et les campagnes de ‘Jeunes contre le racisme en Europe’ ont organisé une manifestation européenne à Bruxelles avec 40.000 participants. Après la manifestation, il y avait un concert à Forest-National. Un an plus tard a eu lieu une marche des Jeunes pour l’emploi et contre le racisme, une initiative couronnée de succès avec quelques milliers de participants après un appel de Blokbuster, des Jeunes-FGTB et d’AFF (le Front antifasciste).
Mi-années 90 : actions contre la violence fasciste
Dès que le mouvement spontané contre le racisme a disparu, l’extrême-droite a tenté de repartir à l’offensive, notamment en attaquant physiquement les membres de Blokbuster, qui continuaient à être actifs. A Bruges, la situation a été jusqu’à des attaques physiques contre tous les militants de gauche ou contre les cafés de jeunes alternatifs. Ces grosbras étaient dirigés de manière militaire par l’ancien président du Vlaams Blok, Frank Vanhecke. Blokbuster a répondu à cette violence avec une campagne contre la violence fasciste. Cela a conduit à une manifestation couronnée de succès mais aussi à des frustrations chez les troupes de Vanhecke qui, à la fin, ont dû reculer face au soutien de la campagne contre la violence dans les quartiers.
Antiracisme et anticapitalisme
Le mouvement contre la mondialisation a provoqué une nouvelle vague de radicalisation parmi les jeunes à la fin des années ‘90 et au début de ce siècle. Blokbuster a tout de suite rejoint le mouvement. En octobre 1999, nous avons organisé une manifestation importante avec mille participants contre un meeting du VB à Gand où le slogan ‘‘Chômage? Non ! Pauvreté ? Non! Manque de logements? Non! Nous luttons pour quelque chose de mieux’’ a vu le jour. Dans le cadre des actions contre la mondialisation, la campagne Résistance Internationale a été mise sur pied dans notre pays, au nord comme au sud.
La lutte continue
Ces dernières années, Blokbuster a occupé l’avant-plan de l’organisation annuelle de la manifestation anti-NSV, une initiative où Blokbuster joue un rôle central depuis la moitié des années ‘90. Nous mobilisons les jeunes pour éviter que l’extrême-droite puisse contrôler la rue durant leur manifestation. L’accent se situe de plus en plus sur le caractère antisocial de l’extrême-droite et sur la nécessité d’une unité des jeunes et des syndicalistes dans la lutte contre le racisme, le sexisme, l’homophobie, etc. Tout ce qui nous divise nous affaiblit !