Régulièrement, on lit dans la presse que les enseignants sont des privilégiés qui résistent au changement. Mais de quel changement parle-t-on ? On observe depuis plus de trente ans une diminution des budgets, une ingérence du privé et une dégradation des conditions de travail. Après 12 ans d’étude PISA, le constat est clair : les inégalités scolaires et sociales ne font qu’augmenter dans l’OCDE, en ce compris en Finlande et en Suède. Face à de tels changements, la résistance semble en effet nécessaire !
Par Emily (Namur)
L’enseignement : produit social du système et de son époque
Chaque époque correspond à un rapport de force spécifique et à des besoins particuliers en mains-d’œuvre; ce sont des facteurs déterminants dans la transformation de l’enseignement. Par exemple, durant la période d’expansion économique post-Seconde Guerre mondiale, il y avait une demande du marché en travailleurs qualifiés, mais aussi un rapport de force favorable au mouvement ouvrier avec la revendication historique de l’instruction au sens large (éducation populaire, bibliothèques publiques…). C’est ce qui a permis la massification du secondaire. Depuis, comme précédemment, nous passons de crise en crise. En conséquence, les capitalistes sont à la recherche de nouveaux débouchés et de secteurs dans lesquels investir, ils veulent des travailleurs bon marché et nous mettre en concurrence les uns avec les autres.
Cela fait déjà longtemps que les écoles sont considérées comme une opportunité d’investissements rentables. Ainsi, dans un document de 2000 de l’UE, on expliquait que la moitié des ménages achetait leur premier PC lorsque l’enfant apprend à s’en servir à l’école. Aujourd’hui, la discussion sur les tableaux interactifs et les tablettes comme outil pédagogique n’est pas dénuée d’intérêt mercantile.
Les dépenses annuelles dans l’enseignement sont globalement estimées à 2300 milliards $ chaque année. Les capitalistes y voient un débouché pour investir leurs excédents de capitaux (OCDE, 2003) et un moyen de dégager du profit. Les cours de rattrapage sont ainsi un marché extrêmement lucratif estimé à 300 millions € en France, sans parler de l’enseignement privé.
Le sous-financement du secteur est tel que certains envisagent d’y ‘‘remédier’’ avec des partenariats public-privé. L’ULB envisage cette option pour le campus de la Plaine face à un manque criant de locaux et de trésorerie. L’entreprise McKinsey se propose, en sauveur, de financer une partie des travaux. En échange, elle veut installer ses locaux sur le campus. Ce géant de la consultance souhaite investir chaque année ½ milliard € dans la recherche en gestion, quoi de mieux qu’une université pour ces locaux ? Ce rapprochement lui permettra de plus facilement noyer les études qui ne lui conviennent pas sous un flot continu de publications favorables. Mais c’est aussi le rôle de l’enseignement qui est questionné en voulant accepter un partenariat avec une entreprise qui recommande invariablement de transformer les programmes de cours pour les adapter à la volonté du patronat. Une entreprise qui forme, par ailleurs, bon nombre de PDG tout comme l’actuel président du conseil d’administration de l’ULB.
Fournisseur de travailleurs prêt à l’emploi : un enseignement à 2 vitesses
Actuellement, 60 % des emplois sont non-qualifiés, ne nécessitant qu’une formation de quelques heures, c’est même 4/5 des emplois vacants selon le patronat français (2012). La classe dominante souhaite donc retourner à un enseignement polarisé. ‘‘L’école de la réussite’’ ne veut pas dire que l’ensemble des élèves acquiert toutes les connaissances, c’est le contraire pour la majorité. En 2001, l’OCDE déclarait d’ailleurs cyniquement que ‘‘les programmes scolaires ne peuvent pas être conçus comme si tous devaient aller loin.’’ L’important, ce n’est plus ce que l’on sait, mais ce que l’on est capable de mettre en œuvre dans un environnement professionnel. Ce discours de l’OCDE et de la Banque mondiale est relayé par la Commission européenne à travers diverses directives et aides.
C’est dans ce contexte que l’approche par compétence s’est développée en Belgique francophone. L’OCDE la justifie ainsi : ‘‘les employeurs ont reconnu en elle des facteurs clés de dynamismes et de flexibilité. Une force de travail dotée de ces compétences est à même de s’adapter continuellement à la demande et à des moyens de production en constantes évolutions.’’ Si on les écoute, l’école ne devrait plus transmettre des savoirs, mais uniquement fournir le bagage nécessaire à s’adapter au marché de l’emploi précaire.
En Fédération Wallonie-Bruxelles, la réforme de l’enseignement qualifiant et l’évaluation via les CPU (Certification par Unité d’apprentissage) suit parfaitement cette logique. La précipitation de cette réforme est d’ailleurs certainement liée à l’obtention de subsides européens. Il n’est plus question de redoublement, l’élève est certifié (ou pas) après chaque module d’apprentissage. Il finit l’année en ayant acquis X et Y compétences (changer une roue), mais pas nécessairement une qualification (mécanicien automobile). Ça permet à l’employeur d’engager le jeune à un statut inférieur, le condamnant à la précarité, tout en s’assurant qu’il est efficace dans sa tâche.
Pour un enseignement public de qualité pour tous
L’école ne devrait pas être un instrument aux mains des entreprises. Alors oui, il faut résister à ce type de changement. Pour empêcher une entreprise comme McKinsey de faire son nid à l’ULB, ou aux fédérations patronales de mettre leurs nez dans les programmes, pour ne plus avoir des écoles et filières de relégation, nous devrons passer par des actions collectives. C’est l’ensemble du personnel scolaire (technique, administratif et éducatif) accompagné des jeunes et de leurs parents qui doivent résister à la marchandisation de notre système éducatif. Mais c’est l’ensemble des services publics qui se dégradent de plus en plus. Si l’on veut répondre aux enjeux de notre société, ils doivent être gérés démocratiquement par la collectivité. Rentrons en lutte active pour des services publics accessible à tous et de qualité !