En Flandre, la colère contre l’austérité vient de connaître un nouveau tournant lorsque les mesures du gouvernement de Geert Bourgeois (un nom particulièrement prédestiné…) ont été dévoilées. Personne n’est à l’abri : les mesures antisociales en discussion frapperont indistinctement écoliers, étudiants ou travailleurs. Mais la colère et l’indignation ne parviendront à rien arrêter sans être organisée. L’article ci-dessous est consacré à la question décisive de la construction d’un rapport de force favorable au mouvement social. Initialement écrit pour faire face à la nouvelle situation de luttes qui émerge en Flandre, essentiellement autour de l’enseignement, ce texte n’en est pas moins une précieuse source de réflexion pour l’autre côté de la frontière linguistique.
Par Mathias (Anvers)
Pour des comités d’action démocratiques !
Construire une opposition efficace passe obligatoirement par l’implication active des étudiants du secondaire et du supérieur. C’est pourquoi nous pensons crucial d’établir des comités d’action dans chaque université, dans chaque haute école de même que dans les écoles secondaires de Flandre. Ces comités peuvent assurer de libérer l’espace nécessaire à la construction d’un mouvement par la base et non par en haut, en permettant aux étudiants de démocratiquement discuter des revendications à défendre et des actions à organiser. Ces comités d’action auront aussi à élire leurs porte-paroles, leurs responsables des diverses tâches et leurs représentants. Tous les élèves, organisations étudiantes et membres du personnel opposés aux mesures doivent pouvoir s’y exprimer librement.
La puissance potentielle de tels organes démocratiques de lutte a été démontrée lors des manifestations étudiantes de 2011 au Québec. Le gouvernement de droite avait décidé d’augmenter les frais d’inscription à 1.650 dollars canadiens, soit une augmentation de 75% ! La contre-offensive étudiante fut massive.
La majorité des étudiants québécois est affiliée à l’une des quatre grandes fédérations syndicales étudiantes. Après quelques actions d’avertissement, une grève générale illimitée fut lancée. Le succès fut au rendez-vous : environ 100.000 étudiants ont fait grève cinq mois durant. À son apogée, le mouvement comprenait 215.000 étudiants grévistes et des manifestations ont réuni 310.000 étudiants au même moment dans différentes villes!
Les autorités ont tenté de briser le mouvement par une répression brutale. C’est ainsi que fut votée au parlement québécois l’infâme loi 78. Les actions organisées autour des campus universitaires étaient devenues illégales et l’amende atteignait les 1000 à 7000 dollars canadiens. En cas de rôle dirigeant dans un syndicat étudiant, cette somme pouvait même grimper jusqu’à 35 000 dollars canadiens. Les syndicats étudiants ont aussi chacun reçu une amende de 125.000 dollars canadiens.
La loi 78 interdisait à peu près toutes les formes de protestation et la police a été autorisée à utiliser jusqu’aux outils de répression les plus controversés contre les manifestations. Les actions étudiantes ont bien vite été systématiquement accompagnées de nuages de gaz lacrymogène et des balles en caoutchouc ont même été tirées. Cette répression n’est toutefois pas parvenue à briser l’élan du mouvement. Il était devenu impossible de donner le moindre cours et l’année académique dû finalement être annulée. Le gouvernement subit ensuite une cuisante défaite électorale et l’augmentation des frais d’inscription fut abrogée.
Tout cela n’a été possible que parce qu’un mouvement a été construit à partir de la base, avec la possibilité pour chaque élève d’être impliqué dans la lutte, de manière démocratique. Des assemblées générales étudiantes prenaient place quotidiennement dans toutes les universités et hautes écoles, souvent avec une participation de centaines voire de milliers d’étudiants. Les développements politiques y étaient discutés, de même que les méthodes d’action à utiliser et l’organisation des activités de protestation.
Ces assemblées générales ont aussi veillé à ce que les étudiants soient impliqués dans les négociations avec le gouvernement. Et c’est une excellente chose. Au beau milieu du mouvement, la direction du syndicat étudiant de droite avait essayé de conclure un accord pourri avec le gouvernement selon lequel l’augmentation aurait été étalée non pas sur cinq ans, mais sur sept ans tandis qu’une nouvelle commission devait voir le jour pour discuter, avec participation étudiante, de la manière d’appliquer les mesures d’économie dans l’enseignement ! Toutes les revendications étudiantes avaient été balayées en d’autres termes. Cette proposition a été soumise au vote : 324.000 étudiants ont voté contre et seulement 4.600 pour ! Sans cette capacité à prendre des décisions de manière démocratique, le mouvement se serait probablement fini sur une défaite.
En Flandre, les comités d’action ont été constitués à partir des conseils étudiants du supérieur. Il faut maintenant les développer davantage pour qu’ils deviennent des organes représentatifs combatifs et démocratiques. Une première étape importante en ce sens consiste à convoquer une assemblée générale étudiante ouverte et démocratique dans les différentes villes. Les comités d’action doivent ensuite être élargis vers toutes les hautes-écoles, les universités et les écoles secondaires.
Pour un plan d’action !
Demander simplement au gouvernement de retirer ses mesures ne marchera pas. Nous ne pourrons pas nous passer de descendre dans les rues, et pas qu’une fois ! La lutte devra se baser sur un plan d’action offensif pour forcer le gouvernement à revenir sur ses intentions austéritaires.
La pétition qui a été lancée est un excellent moyen d’entrer en discussion avec les étudiants, de les informer et de les inviter à entrer en action. Des actions ludiques et orientées vers les médias peuvent être une manière de maintenir le mouvement dans le feu des projecteurs, mais nous avons absolument besoin de moments d’action qui permettent à tous les étudiants de participer et de montrer la véritable puissance du mouvement. Nous pouvons commencer par mobiliser pour des actions locales sur les campus, pour ensuite appeler à appeler des manifestations locales dans les différentes villes étudiantes. Ces manifestations peuvent à leur tour être le point de départ d’une campagne pour une manifestation nationale contre l’austérité dans l’enseignement.
Il faut dès aujourd’hui considérer la possibilité que le gouvernement maintienne ses mesures et tienne bon après la tenue d’une telle manifestation nationale. Au Québec, c’est la grève étudiante qui fut l’instrument de combat essentiel. Cela a non seulement permis de mettre à plat toute l’activité universitaire, mais aussi de dégager le temps nécessaire aux étudiants pour qu’ils s’impliquent dans les assemblées générales et les différentes actions.
Une grande manifestation centrale serait le lieu idéal pour appeler à la grève générale étudiante, pour 24 heures. Cela ne pourrait qu’accroître la pression sur le gouvernement, et elle pourrait ensuite facilement être étendue à 48 heures ou même à une semaine.
Contre l’austérité sous toutes ses formes !
Au plus le mouvement est large, au plus il est puissant, cela va de soi. Nous ne devrions donc pas nous limiter à des slogans orientés contre l’augmentation des frais d’inscription. L’austérité va avoir un effet des plus néfastes sur le personnel enseignant et non-enseignant. Le gouvernement fera tout pour diviser étudiants et personnel, nous devons faire l’inverse.
Soyons clairs : on économise dans l’enseignement depuis 30 ans, chaque économie supplémentaire est d’autant plus inacceptable ! L’enseignement a besoin d’investissements publics massifs, et c’est pourquoi il faut défendre l’augmentation du budget de l’enseignement pour qu’il représente au moins 7% du Produit Intérieur Brut, comme cela était le cas dans les années ’80.
Dans les conditions économiques actuelles, il sera très difficile d’arracher cet investissement. Les protestations étudiantes ne seront pas suffisantes pour y parvenir. C’est l’une des leçons négatives du mouvement étudiant au Québec. En considérant l’ampleur des mobilisations, les résultats ont tout de même été limités.
Le problème fondamental était que le mouvement est principalement resté limité aux étudiants. Une grève étudiante ne peut pas frapper le gouvernement et les grands patrons là où cela leur fait le plus mal : au portefeuille. Si les étudiants étaient parvenus à attirer dans leur lutte le mouvement syndical, bien plus aurait pu être obtenu. Le problème est qu’aucun syndicat étudiant n’a élaboré de plan d’action concret pour défendre un appel à une grève générale de 24 heures au Québec. Cette nécessité a pourtant été ressentie parmi les étudiants en lutte, comme cela a été illustré par la revendication du syndicat étudiant le plus à gauche, CLASSE, pour une ‘‘grève sociale’’. Mais les choses en sont restées au niveau du mot d’ordre abstrait.
Nous ne pourrons pas non plus faire l’économie d’une discussion sérieuse sur les autres mesures d’austérité que les divers gouvernements cherchent à instaurer. Les mesures antisociales dans l’enseignement sont scandaleuses, c’est vrai, mais il est tout aussi scandaleux de raboter les budgets des transports en commun ! Allons chercher l’argent là où il est : dans la poche de l’élite capitaliste au sommet de cette société !