En Belgique comme en France, les nouvelles éditions des enquêtes PISA ont fait couler beaucoup d’encre. Alors que depuis plus de trente ans, notre système éducatif subit réformes sur réformes, il semblerait bien que celui-ci, inefficace, voir en régression, soit porteur des pires inégalités sociales. En Belgique, plus qu’ailleurs, la position socio-économique des parents prédit les résultats scolaires de leurs enfants et un enfant d’origine modeste a quatre fois plus de chance qu’un enfant aisé d’être relégué dans une filière qualifiante, souvent peu valorisée et de connaître l’échec. A quinze ans, la moitié de nos jeunes ont connu le redoublement. De plus, les élèves ‘‘les plus faibles’’ sont relégués dans les écoles dites ghettos où sont également confinés la majorité des enfants issus de l’immigration. Pour les défenseurs d’une prétendue ‘‘égalité des chances’’, la machine égalitaire ne fonctionnerait plus. Mais il est légitime de se demander si celle-ci a déjà fonctionné et quelles en sont les limites sous le système capitaliste.
Par Mandy (Liège), article tiré de l’édition d’été de Lutte Socialiste, journal du PSL
L’instruction élémentaire, une nécessité de la révolution industrielle
Dans toute l’Europe, la révolution industrielle a transformé les paysans des campagnes, souvent illettrés, en prolétaires, qu’il fallait instruire un minimum afin que les industriels puissent les utiliser sur des machines. Il fallait également former des contremaîtres, des employés,… bref tout l’encadrement nécessaire à la production manufacturière.
Dans cette situation nouvelle, certains prirent conscience de la nécessité économique et sociale d’une instruction populaire. De nombreuses initiatives privées furent alors prises sans aucune intervention de l’État.
Il fallut attendre la crainte d’une explosion du mouvement ouvrier pour que les hommes politiques de la bourgeoise ressentent la nécessité de domestiquer la classe ouvrière et commencent à émettre quelques lois afin de développer une école qui, non seulement lui donnerait des rudiments d’instruction mais qui lui apprendrait également l’obéissance et la soumission.
La lutte pour l’éducation, un combat du mouvement ouvrier
Dès 1848, Marx et Engels, dans le Manifeste du parti communiste, réclament l’abolition du travail des enfants et l’éducation publique et gratuite, éducation qu’ils voulaient vivante et coordonnée à la production matérielle. Une éducation qui unirait le travail productif avec l’instruction, comme méthode d’accroissement de la production sociale et unique méthode pour produire des hommes complets. Ces hommes, qui posséderaient ainsi les connaissances scientifiques de la production mais aussi ses dimensions sociales, politiques et économiques, pourraient ainsi alterner des activités correspondant aux exigences de la société mais aussi à ses tendances personnelles.
La commune de Paris en 1871, malgré sa courte durée, décréta pour la première fois en Europe la gratuité, l’obligation et la laïcité de l’enseignement. Cette scolarité obligatoire s’attaquait au travail des enfants mais concernait également les filles, dont l’instruction avait jusque-là été négligée. Mais la Commune vaincue, ses mesures ne lui survécurent pas. Il faudra alors attendre dix ans pour obtenir de la part de l’État français l’éducation primaire obligatoire et 1914 en Belgique.
Une école pour les ouvriers et une école pour les bourgeois
Si l’éducation était une revendication ouvrière, l’instruction élémentaire et basique était le fait de l’État dans l’intérêt de la bourgeoisie afin de préparer et prédisposer les garçons aux futurs travaux de l’ouvrier et du soldat et les filles aux soins du ménage et ouvrages féminins. Un autre intérêt pour la classe bourgeoise était d’inculquer ses valeurs aux classes populaires, leur apprendre le respect de l’ordre et de les convaincre que leur place déterminée dans la société et dans la production était celle qu’ils méritaient de par leurs capacités. Deux écoles existent alors, celle rudimentaire pour les ouvriers et de l’autre une école secondaire classique élitiste et payante, excluant les filles bien entendu, pour les enfants de la bourgeoisie.
Le leurre la démocratisation de l’enseignement
L’entrée massive des jeunes dans l’enseignement secondaire se fait à partir de 1960 en parallèle avec l’urgence de moderniser les installations et de former des ouvriers, des techniciens et des ingénieurs. Mais cette ouverture des portes des écoles secondaires d’enseignement général à tous ne fut qu’un leurre de plus de la soi-disant démocratisation de l’enseignement.
En effet, d’autres verrous, toujours en place aujourd’hui, sont alors installés avec la mise en place des mécanismes de sélection par la multiplication des filières pour amener les jeunes des classes populaires vers les filières courtes de l’enseignement technique et professionnel, qui ne sont malheureusement que des voies d’une éducation peu valorisée et au final peu professionalisante.
Si le nombre de jeunes scolarisés a alors augmenté indéniablement, une sélection renforcée fait que la filière générale reste élitiste. Dans les filières techniques et professionnelles, l’enseignement général se retrouve réduit, avec de longues périodes de stages en entreprises qui soi-disant ‘‘favoriseraient’’ l’insertion professionnelle mais qui, dans la réalité, permet de livrer aux entreprises des jeunes à exploiter sans avoir à débourser le moindre kopeck.
L’accès au supérieur aussi s’est ‘‘démocratisé’’ mais cela ne signifie en rien que la société ait changé. Elle est toujours aussi inégalitaire et basée sur l’exploitation du travail humain, fût-il hautement diplômé. Les diplômes, aujourd’hui, ne protègent ni des bas salaires, ni de la précarité, ni même du chômage.
Pour changer d’éducation, il faut changer de société
L’école est intimement liée au système économique et politique dans lequel elle a été créée. Derrière la fameuse ‘‘égalité des chances’’ sur laquelle on ne cesse de nous rabâcher les oreilles, l’inégalité scolaire reflète les inégalités de la société. Cette inégalité scolaire, plus visible il y a 50 ans, joue toujours mais de façon hypocrite, et les beaux discours sur l’égalité des chances n’ont pour but que de convaincre élèves et parents que les plus méritants peuvent réussir quelle que soit leur origine sociale. L’échec scolaire ne serait ainsi dû qu’à eux-mêmes. Ce ne serait donc plus la société inégalitaire qui doit être mise en cause, mais bien l’inégalité du mérite de chacun. La vitrine de réussite de quelques-uns permet de cacher la généralisation de l’échec du plus grand nombre.
Pour les politiciens, l’échec est souvent à mettre sur le dos des enseignants, des méthodes pédagogiques et des parents, une manière pour eux de se dédouaner de leurs propres manquements à leurs propres responsabilités : développer un service public d’éducation qui puisse offrir à tous les connaissances techniques et culturelle qu’exige une vie digne. Avec les coupes budgétaires dans l’enseignement, la carence de l’État touche tous les niveaux de l’éducation en passant du maternel à l’Université. Et cette dégradation du système éducatif frappe d’autant plus durement les enfants des classes populaires dont le milieu socioculturel ne permet pas de compenser les défaillances de l’éducation donnée par l’école.
Nous devons soutenir toutes les initiatives des professeurs, éducateurs, parents qui veulent en finir avec une école où l’erreur n’est pas permise, où le seul type de relation que l’on retrouve en classe est celle de la concurrence, où l’objectif n’est pas d’apprendre mais seulement d’obtenir des points et de correspondre aux normes de la classe dominante.
Certaines alternatives ont été proposées pour lutter contre l’école de l’échec. Prenons pour exemple Célestin Freinet, Fernand Oury ou Françoise Dolto qui ont développé une pédagogie basée sur le désir d’apprendre, la responsabilisation et le caractère collectif et coopératif des activités scolaires. Ou encore l’école itinérante du Mouvement des Sans Terres au Brésil qui prend la réalité comme base de toute production de connaissances et donne ainsi aux jeunes comme aux plus vieux un sens à leurs apprentissages.
Nous pourrions en citer bien d’autres qui se lèvent contre le pourrissement du système scolaire capitaliste. Mais cela n’est pas suffisant et aura toujours ses limites tant que nous vivrons dans une société fondée sur l’exploitation. Détruisons les inégalités, détruisons le capitalisme, car seul le socialisme nous permettra de construire une école de la liberté, … une école socialiste.