Enseignement supérieur : Sous-investissement et manque de personnel

“Les professeurs aussi doivent travailler plus durement”. Il ne manque pas de culot le ministre flamand de l’enseignement supérieur ! C’est en ces termes que Pascal Smet (SP.a) a réagi aux déclarations des recteurs des universités de Louvain (KUL) et de Gand (UG) concernant le manque de professeurs. A l’UG, si le nombre d’étudiants a grimpé de plus d’un tiers en dix ans, le personnel n’a augmenté que de 5%… Le recteur de l’UG dit avoir besoin de 20% de professeurs en plus, celui de la KUL réclame une augmentation de 10%.

Faire plus avec moins

Ces recteurs ont raison de parler du manque de professeurs mais, en réalité, la pénurie touche toutes les catégories de personnel, résultat du sous-financement chronique de l’enseignement supérieur. Depuis l’introduction du ‘‘financement par enveloppe’’ en 1991 (1994 pour les hautes écoles), chaque université reçoit une ‘‘enveloppe’’ annuelle comprenant les moyens avec lesquels elle doit s’en sortir. Une coupe budgétaire larvée a été appliquée par une sous-indexation conséquente de ces enveloppes.

Ainsi le budget total – la somme de toutes les enveloppes – a, en termes réels, baissé de 10% au cours des 19 dernières années, tandis que le nombre d’étudiants a augmenté d’environ 50% (de 141.538 étudiants en 1993 à 207.954 en 2010), et on attend beaucoup plus sur le plan de la recherche.

Il est donc plus que révoltant que le gouvernement flamand ait décidé fin 2009 de diminuer les allocations de fonctionnement pour les universités et les hautes écoles de 1,27% dès 2011, soit une restriction annuelle de 16 millions d’euros. A côté de cela, le ministre Lieten a diminué le budget pour les Sciences et l’Innovation de 3,4% en 2010 et la décision a été prise de ne pas payer la tranche de décembre 2010 du Fonds Spécial de Recherche (une partie de Sciences & Innovation), ce qui fait que l’université d’Anvers rate à nouveau 1 million d’euros.

Le ministre tente de se sauver en se référant aux 20 millions d’euros qui ont été ajoutés aux enveloppes l’an dernier, sans toutefois mentionner que cette augmentation du budget ne sert qu’à compenser l’augmentation du nombre d’étudiants l’année passée. On entend aussi beaucoup parler des promesses à plus long terme faites par le précédent ministre, Vandenbroucke, promesses qui restent non tenues aujourd’hui encore.

 

Le gouvernement organise la concurrence

Une des conséquences des assainissements est que le nombre d’étudiants et de doctorants par professeur a fortement augmenté ces dernières années. Depuis 1995, le nombre d’étudiants a grimpé de 34,1% dans les universités et hautes écoles, alors que le personnel enseignant a baissé de 1,8%… Les universités comptent plus d’étudiants doctorants (Personnel Académique Spécial), mais ils sont occupés par la recherche au minimum 90% de leur temps. Dans les hautes écoles, la forte croissance du personnel enseignant temporaire est remarquable : 42,5% en plus depuis 1995, alors que le personnel enseignant a baissé de 24,3%.

En 2008, sous le ministre Vandenbroucke, un nouveau décret de financement a été introduit, plaçant les universités en concurrence les unes avec les autres dans le but d’augmenter la productivité par chercheur et d’accorder moins d’argent au total. Désormais, la somme de l’enveloppe par université ne serait plus basée seulement sur les nombres d’étudiants, mais aussi sur les publications dans les revues scientifiques et les doctorats achevés. Conclusions : une lutte accrue entre institutions pour récupérer quelques miettes et une augmentation de la pression de travail.

 

Des mauvaises conséquences pour la recherche et l’accompagnement

Par le fait que de moins en moins de moyens publics vont vers l’enseignement supérieur, les universités sont de plus en plus dépendantes des fonds du secteur privé. A côté du fait que ces moyens sont sous la pression de la crise économique, il faut évidemment aussi se poser des questions quant à la garantie que la recherche financée par le privé puisse se faire en toute indépendance et que les universités ne se transforment pas en ‘‘centres d’étude’’ bons marchés pour le secteur privé. La qualité de la recherche scientifique est en danger. Le chercheur est évalué sur base du nombre d’articles publiés et de la mesure dont il/elle peut attirer des fonds. D’autres tâches fondamentales comme la discussion critique du travail de collègues, la formation de nouveaux chercheurs, les services à la société,… ne sont pas considérés et ne rapportent pas de subventions.

Les universités et les hautes écoles n’ont pas été épargnées par les pertes d’emploi. Il ne s’agit pas directement de licenciements secs, mais plutôt du non remplacement après des départs, particulièrement dans le personnel administratif et technique pour qui la charge de travail devient insupportable. En plus, les assainissements s’effectuent sur tous les terrains possibles. Les prix des repas dans les restaurants étudiants d’Anvers ont augmenté ces trois dernières années de 28% pour les étudiants et de 58% pour le personnel ! On peut encore parler de la sous-traitance de l’entretien à des entreprises privées où les travailleurs ont des salaires très bas et de très mauvaises conditions de travail. Riposte !

La rage et les frustrations au sujet des assainissements montent parmi le personnel, les étudiants et les autorités académiques. Pour l’instant, il existe encore une certaine compréhension envers la situation budgétaire difficile des différents niveaux de gouvernement, mais combien de temps cela va-t-il encore durer ? L’Etat perd des milliards d’euros avec les cadeaux fiscaux pour les entreprises et un taux d’imposition réel très bas pour les grosses sociétés, pourquoi l’enseignement doit-il en subir les conséquences ?

Les premières protestations vont sans doute devenir visibles au cours de ces prochains mois en Flandre. Dans ces protestations, il sera très important de mettre en avant l’idée que les budgets publics pour l’enseignement doivent être revus à la hausse pour que l’enseignement reçoive à nouveau un financement public équivalent à 7% du Produit Intérieur Brut !