En quoi les idées de Léon Trotski sont toujours utiles aujourd’hui ?
Le 21 août 1940 mourait Trotsky, assassiné par un agent de Staline, Mercader. Cet assassinat venait clore tragiquement une vie entièrement consacrée au triomphe de la révolution socialiste et du renversement du capitalisme par les travailleurs. En ordonnant cela, Staline et ses alliés voulaient frapper un coup décisif au seul courant qui défendait une politique réellement marxiste, alternative à la monstruosité de la bureaucratie stalinienne. Aujourd’hui encore, Trotsky et le trotskisme montrent qu’il n’y a pas de filiation directe entre la Révolution russe et le stalinisme mais bien une rupture.
Qu’est-ce que le trotskisme ?
C’est en 1897, à 19 ans, que Trotski va s’engager dans la voie militante et devenir marxiste. Déployant une activité très intense, il animera un groupe de travailleurs dans le sud de l’Ukraine. Arrêté puis déporté en Sibérie, il réussit à s’enfuir et part en Europe où il rencontra Lénine. Lors du congrès de 1902, il occupa une position intermédiaire entre les bolcheviques et les mencheviques, reprochant le caractère trop fermé du parti du côté des bolcheviques (position qui évoluera après 1905 mais que Trotski mit du temps à voir).
En 1905, suite à la défaite de la Russie dans sa guerre contre le Japon, la révolution éclate. Durant celle-ci, les 1ers Soviets (conseils ouvriers) apparaissent. Ces organismes démocratiques organisent non seulement la grève mais peu à peu la vie de quartiers ou d’entreprises. Trotski comprend que ces organes sont l’embryon du futur pouvoir des travailleurs. Il est porté à tête de celui de Saint-Pétersbourg, et il sera ainsi le principal dirigeant de la révolution de 1905.
L’autre question importante que Trotski avait comprise en poussant au plus loin l’analyse de l’économie mondiale, de l’impérialisme et de la situation d’un pays attardé comme la Russie (encore féodale à l’époque mais dotée de grandes concentrations ouvrières), c’est celle qu’il a résumé sous le terme de «Révolution permanente». En résumé : les aspects démocratiques de la révolution (libertés individuelles, réforme agraire…) propres aux révolutions du 19ème siècle se combineraient très vite avec les aspects socialistes (expropriation des capitalistes, pouvoir des travailleurs). La raison en était la domination du capitalisme russe par l’impérialisme français et anglais, et donc la faiblesse de la bourgeoisie russe, ne disposant pas d’implantation réelle dans la société et donc incapable de prendre le pouvoir. Cette théorie, partiellement confirmée par la révolution de 1905 le sera complètement lors de la révolution de 1917. Elle l’est également, de manière moins nette, par les révolutions et situations révolutionnaires qui ont émaillé le 20ème siècle.
C’est cette adéquation entre les moyens et les objectifs qui forme le socle de ce qu’on appelle le Trotskisme et qui s’oppose complètement à l’aberration stalinienne du socialisme dans un seul pays.
1917
Lorsque la révolution éclate en 1917, Trotski est encore en exil. Il est même interné dans un camp par les Anglais, qui voient d’un très mauvais œil le retour des révolutionnaires, marxistes ou non, en Russie pourtant alliée de l’Angleterre dans la 1ère guerre mondiale. La Russie devient alors le pays le plus démocratique au monde. Mais en lien avec les aristocrates russes et l’impérialisme français et anglais, les gouvernements successifs, avec de plus en plus de ministres «socialistes», refusent de prendre des mesures telles qu’une réforme agraire, l’arrêt de la guerre ou la journée de travail de 8 h.
Les Soviets reconstitués deviennent de plus en plus des organismes de pouvoir. Lénine, sans afficher clairement son ralliement à la théorie de la révolution permanente, va dans ce sens et pousse le parti bolchevique à adopter des mots d’ordre en faveur d’un pouvoir des soviets. Toute une partie de la direction du parti, dont Staline, s’apprêtait à apporter un soutien au gouvernement provisoire. Devant une telle communauté de vue, le groupe de Trotski et le parti bolchevique fusionnèrent en juin 17.
Lors de la tentative de coup d’Etat du général Kornilov (ou du président du gouvernement provisoire Kerenski), les bolcheviques joueront un rôle central dans la défense de la Révolution. Trotski se retrouve de nouveau à diriger le soviet de Saint-Pétersbourg et l’insurrection d’Octobre 1917. Par la suite, en fondant l’Armée Rouge il contribuera largement à empêcher l’écrasement de la révolution et le retour des aristocrates et d’une dictature militaire.
Combat contre le stalinisme
L’isolement, les horreurs de la guerre civile et l’épuisement de la Russie avaient affaibli la classe ouvrière. Une couche a pu se former, dont Staline prit la tête, la bureaucratie. Celle-ci ne cherchait pas à restaurer le capitalisme mais tirait profit de sa position au sein de l’Etat ouvrier soviétique. Très vite, Trotski tenta d’organiser, avec Lénine, le combat contre Staline et ses partisans par une bataille pour re-démocratiser le parti et les Soviets. Pour Staline, Trotski était un ennemi très dangereux mais difficilement attaquable du fait de son rôle dans la révolution. A force de manœuvres, et par manque de combativité réelle de certains dirigeants qui se lièrent parfois au combat des «trotskistes», les staliniens gagnèrent. Mais Trotski et ses partisans continuèrent le combat en défense de la révolution d’Octobre et de ses acquis et pour la victoire de la révolution dans d’autres pays, clef pour sortir la Russie soviétique de son isolement.
C’est ainsi que Trotski analysera le premier le danger mortel du fascisme là où les staliniens ne voyaient qu’un phénomène passager. Sans relâche, Trotski et les siens essayèrent de proposer une véritable orientation marxiste pour les masses au lieu des zigzags des staliniens.
Pour Trotski, dès 1934, la conjonction de la crise depuis 1929 et la victoire du nazisme ne pouvaient signifier qu’une marche vers une nouvelle guerre mondiale, alors que Staline et les siens pronostiquaient un écroulement définitif du capitalisme et pensaient une coexistence pacifique possible avec les bourgeoisie d’Europe occidentale puis, revirement en 1939, avec les nazis. L’analyse de Trotski sur la nature de la bureaucratie est toujours d’actualité : une couche qui repose sur la classe ouvrière et qui a besoin d’elle tout en profitant d’elle.
Derniers combats
1936 sera une année-tournant. Les grèves de masse en France, la révolution en Espagne, auraient changé la face du monde. Trotski formula alors les premiers éléments d’un programme de transition : un programme qui fait le lien entre la nécessité de la révolution socialiste et les luttes en cours. Une sorte de déclinaison de la révolution permanente pour une période marquée par des niveaux de conscience très variés. Les staliniens, eux, défendaient une politique d’alliance avec des secteurs soi-disant progressistes de la bourgeoisie, avec les résultats qu’on connaît. Le programme de transition sera adopté définitivement en 1938 et servira de document fondateur pour la IVème Internationale.
La bataille pour une nouvelle internationale était centrale pour Trotski depuis des années. Si la révolution russe s’était trouvée isolée, c’est parce qu’il n’y avait pas l’équivalent des bolcheviques dans d’autres pays. Si les staliniens dominaient le mouvement ouvrier mondial, c’est parce qu’il n’y avait pas de direction alternative à eux. Or, la guerre allait entraîner de nouvelles situations révolutionnaires (ce qui s’est vérifié). Il fallait donc un instrument, malgré l’isolement et la répression stalinienne, qui puisse être une alternative au stalinisme qui finira par mener à l’échec. Non seulement l’analyse s’est entièrement vérifiée, mais elle est toujours juste aujourd’hui.
Il est impossible en un article de résumer les apports théoriques de Trotski, qui a payé de sa vie plus de 40 ans de combat pour le socialisme. Néanmoins, dans la situation actuelle où se combinent crise majeure, volonté de lutte mais frein des directions des syndicats, situations quasi révolutionnaires mais confusion politique, les idées défendues par les trotskistes sont aujourd’hui encore d’une brûlante actualité et utilité.