Non, les incivilités ne sont pas un problème individuel!

Fin décembre une carte blanche de Mathias Vander Hoogerstraete, responsable de la campagne flamande contre les Sactions Administratives Communales TegenGAS, a été publiée dans le quotidien flamand De Standaard. Il y a attaqué l’arbitraire du système des SAC et a défendu que la meilleure manière de s’en prendre aux incivilités n’est pas la répression, mais l’élaboration d’alternatives sociales. La baronne Mia Doornaert n’a pas apprécié et a tenu à faire publier une réponse dans le même journal, début janvier. Petite comparaison des arguments avancés de part et d’autre, qui déplaira sans doute une fois encore à la petite Dame de Fer belge.
La baronne Mia Doornaert a 68 ans et a travaillé 38 ans durant au quotidien De Standaard. Elle a également travaillé au cabinet d’Yves Leterme entre juillet et novembre 2009. Fervente conservatrice, elle n’a jamais caché son admiration pour Margaret Thatcher ou encore pour Nicolas Sarkozy. Doornaert a, entre autres, soutenu l’invasion de l’Afghanistan au nom du ‘‘choc des cultures’’.
L’arbitraire et la répression
Mathias : “L’esprit de la Loi est que chaque commune décide d’elle-même. Justice et injustice sont alors définies par l’état d’esprit du bourgmestre local et de ses sheriffs responsables des SAC. Bart De Wever a encore illustré cet arbitraire en classant sans suite une amende SAC de 50 euros reçue par un homme ayant un handicap mental qui avait osé jouer de la flute en rue… La situation ressemble à une arène où la police attend de voir si le bourgmestre local va baisser ou lever le pouce.’’
Mia : “Lorsque la liberté dégénère en un manque de sens des responsabilités, nous ne recevons pas du tout les conséquences d’une ‘‘société néolibérale’’ mais nous vivons avec des autorités qui dépensent toujours plus l’argent du contribuable à nettoyer les dégâts de comportements asociaux qui s’occupent (ou doivent s’occuper) de plus en plus de notre vie personnelle. C’est l’atmosphère du moment : je ne dois pas garder la rue propre, je peux être bruyant et saoul, je peux frapper des gens et casser des choses, ‘‘la société’’ n’a qu’à faire avec. (…) Quelques amendes SAC semblent absurdes, c’est vrai. Mais cela ne serait jamais arrivé si le sens citoyen n’était pas devenu une insulte. Le meilleur remède ? Restaurer l’éducation, il est grand temps.”
Notre opinion : L’argument selon lequel les incivilités ne peuvent pas rester impunies est le principal axe de défense des partisans des SAC. Il faut quand même faire quelque chose face à la perte de sens citoyen, se disent-ils. Cette réponse n’en est cependant pas une face à la critique que la législation actuelle est totalement arbitraire. Les petits sheriffs locaux peuvent déterminer ce qui est ou non une nuisance, ou alors la législation locale le détermine, la taille que doit avoir un confetti variant d’un endroit à l’autre tandis que des jeux d’enfants sont tolérés dans une commune et interdits dans la voisine. Les exemples ‘‘absurdes’’ ne sont pas à considérer comme des excès, mais comme une partie intégrante de la législation. Le bourgmestre décide de sa vision de la législation, envoie ensuite ses fonctionnaires dans les rues, condamne et ensuite revient éventuellement sur les sanctions. Même les plus hauts magistrats du pays (rarement des gauchistes) dénoncent l’arbitraire de la législation, mais leur avis est balayé de la table. L’arbitraire fait-il partie du sens citoyen que la baronne Doornaert veut nous inculquer ?

Mathias Vander Hoogerstraete is 23 jaar oud en al enkele jaren actief in het Gentse. Hij was jarenlang verantwoordelijk voor de Actief Linkse Studenten in Gent. Hij was initiatiefnemer van de campagne TegenGAS waar hij woordvoerder van is. Hij schrijft regelmatig bijdragen in deze krant.
Mathias Vander Hoogerstraete a 23 ans. Il milite à Gand depuis des années déjà, il a notamment été longtemps responsable de la section gantoise des Étudiants de Gauche Actif. Il est aussi l’initiateur de la campagne TegenGAS dont il est le porte-parole. Des contributions de sa part peuvent régulièrement être lues dans les pages de Lutte Socialiste ainsi que sur ce site.

‘‘Donner des amendes à ceux qui urinent en rue revient moins cher que de construire des toilettes publiques de qualité’’
Mathias : “Le fond de l’affaire, c’est la rhétorique néolibérale qui considère que chaque problème social se réduit à une question individuelle, parce que, selon les mots de Thatcher : there’s no such thing as society (‘‘quelque chose comme la société, ça n’existe pas’’). Selon cette logique, on peut sanctionner les jeunes paresseux au chômage qui trainent en rue, mais pas s’en prendre au chômage des jeunes. Difficile de remédier à la gigantesque inégalité sociale qui sévit dans l’enseignement belge, on s’en prend donc aux gamins qui brossent les cours. On peut bien affirmer que les communes ne gagnent pour l’instant rien sur les amendes SAC, mais donner des amendes à ceux qui urinent en rue revient moins cher que de construire des toilettes publiques de qualité.’’
Mia : “Evidemment, il faut des sanitaires publics, mais uriner en rue n’a le plus souvent rien à voir avec cela, mais avec un manque de respect total pour l’espace public. De la même manière, on voit parfois des gens traverser la rue de façon téméraire parce qu’ils refusent carrément d’aller 100 mètres plus loin jusqu’au passage pour piétons. Le porte-parole de la campagne TegenGAS est à côté de la plaque avec son discours éculé qui considère que tout est de la faute de la société ‘‘néolibérale’’. Le phénomène des amendes SAC est justement une réaction contre l’hyper-libéralisme. Ou mieux dit, contre un hyper-individualisme qui est passé pour progressiste durant trop longtemps. Le ‘‘il est interdit d’interdire’’ et le ‘‘moi d’abord’’ issus des journées de mai ‘68 ont dans les faits été très loin.’’
Notre opinion : La folie des SAC ne nous fait pas penser à 1968, mais plutôt à 1984. Cette histoire pousse petit à petit l’ouvrage de George Orwell et son Big Brother hors du rayon des fictions. La politique néolibérale de ces dernières décennies a conduit à un énorme fossé entre riches et pauvres et a toujours plus étranglé les services publics. Le nombre de poubelles publiques a été drastiquement réduit et nous avons dû acheter des sacs poubelles assez chers pour rendre plus économiquement attractif la collecte privatisée des déchets. Même l’espace public est de plus en plus privatisé. Dans une société avec tant de problèmes sociaux – ‘‘génération perdue’’, pénuries à tous niveaux, etc. – il n’est pas étonnant que des incivilités existent. Selon le Forum Economique Mondial (très loin d’être un ramassis de gauchistes encore une fois), l’inégalité croissante des revenus constitue la plus importante menace pour la ‘‘stabilité sociale’’ à travers le monde. Madame Doornaert vient alors nous dire que tout cela est réductible à un problème d’éducation ?
Un problème d’éducation?
Afin de nier la critique de société développée par Mathias, Mia Doornaert déclare que tout le problème réside dans l’éducation actuelle. ‘‘Les droits des enfants et des jeunes paraissent surtout aujourd’hui se résumer à permettre les incivilités. J’ai dû ces derniers temps être présente à plusieurs obsèques, à l’église comme au service laïc. Dans les deux cas, j’avais l’impression que tous les enfants souffraient du syndrome d’hyperactivité. Ils ne restaient pas assis une minute, ils bavardaient, ils couraient, ils dérangeaient sans que les parents ne semblent prêts ou capables de les rappeler à l’ordre. Enfant, je n’ai jamais aimé rester assise sur une chaise, mais il fut un temps où l’on apprenait quand-même qu’il fallait le faire dans certaines circonstances. (…) On nous apprenait aussi qu’il ne fallait pas jeter des papiers ou des cannettes par terre, qu’on ne peut pas simplement uriner partout, qu’il ne faut pas déranger les autres, qu’on n’insulte pas, qu’on ne prend pas ce qui ne nous appartient pas,… Bref, nous recevions une éduction dans un sens citoyen.’’
Peut-être la mémoire de la baronne Doornaert la lâche un peu, mais combien de fois n’y avait-il pas de bagarres en rue ‘‘dans le temps’’ ? A quel point chantait-on fortement dans les cafés enfumés ? Dans quelle mesure uriner contre un arbre était encore considéré comme tout à fait normal ? Que signifieraient les ‘‘normes et valeurs’’ du début des années ‘60 appliquées aux villes beaucoup plus peuplées d’aujourd’hui ? Ce discours du ‘‘dans le temps, c’était bien mieux’’ ne correspond en rien à la réalité.
De plus, nous n’avons aucun problème avec cette question de l’éducation. Les politiciens établis massacrent déjà les budgets de l’enseignement depuis des années, nous défendons au contraire une augmentation drastique du financement public de l’enseignement pour rendre possible un accompagnement plus individuel. Nous plaidons pour la socialisation de tout un tas de tâches domestiques et pour une diminution du temps de travail avec embauches compensatoires et sans perte de salaire pour que les parents puissent notamment passer plus de temps avec leurs enfants. Nous exigeons plus de moyens pour des crèches publiques et pour des structures de loisir pour les jeunes. De façon assez remarquable, nous constatons que les conservateurs qui défendent le plus bruyamment les vieilles normes et valeurs de l’éducation sont justement ceux qui n’éprouvent aucun problème à voir les budgets sociaux se réduire à peau de chagrin. Il est très facile de repousser les conséquences de cette politique vers la ‘‘mentalité’’ ou ‘‘l’éducation’’.
Le ton paternaliste de la baronne (qui passe sous silence le fait que les générations actuelles ont été éduqués par les précédentes) fait immanquablement penser aux colons qui affirmaient qu’ils allaient éduquer la population du Congo ou d’ailleurs à être d’obéissants catholiques. Sans doute les guerres d’Irak et d’Afghanistan – que Mia Doornaert a défendues – étaient avant tout des opportunités éducatives pour les populations locales ?